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établissemens, on fut amené à adopter à cet égard le régime le plus singulier. Les portes furent ouvertes à deux battans. L’état, à certaines heures, tint salle ouverte pour des discours de science et de littérature. Deux fois par semaine, durant une heure, un professeur dut comparaître devant un auditoire formé par le hasard, composé souvent à deux leçons consécutives de personnes toutes différentes. Il dut parler sans s’inquiéter des besoins spéciaux de ses élèves, sans s’être enquis de ce qu’ils savent, de ce qu’il ne savent pas. Quel enseignement devait résulter de telles conditions? On l’entrevoit sans peine. Les longues déductions scientifiques, exigeant qu’on ait suivi toute une série de raisonnemens, durent être écartées. L’auditeur vient ou ne vient pas à de tels cours selon ses occupations ou son caprice. Faire une leçon qui suppose nécessairement que l’élève a assisté à la leçon précédente, qu’il s’est préparé avant de venir, c’est faire un calcul qui sera sûrement couronné de peu de succès. Que signifie en effet, dans un tel régime, ce mot terrible « avoir peu de succès? » C’est avoir peu d’élèves, c’est-à-dire que ce qui est le signe d’un enseignement vraiment supérieur devait devenir une sorte de reproche. Laplace, s’il eût professé, n’aurait certainement pas ou plus d’une douzaine d’auditeurs. Ouverts à tous, devenus le théâtre d’une sorte de concurrence dont le but est d’attirer et de retenir le public, que seront de tels cours? De brillantes expositions, des récitations à la manière des déclamateurs de la décadence romaine. Qu’en sortira-t-il? Des hommes véritablement instruits, des savans capables de faire avancer la science à leur tour? Il en sort des gens amusés durant une heure d’une manière distinguée, il est vrai, mais dont l’esprit n’a puisé dans cet enseignement aucune connaissance nouvelle.

Certes de nombreuses exceptions protesteront contre l’épidémie du bel esprit, conséquence obligée d’un tel système. Un Eugène Burnouf mettra sa gloire à avoir six ou huit élèves venus des quatre coins de l’Europe, et auxquels il enseigne les textes les plus difficiles, textes que lui seul sait comprendre et expliquer; mais pour cela il faudra être un héros de la science. Dans un grand nombre de cas, le savant solide portera envie à son confrère superficiel qui, par une parole aisée, par des aperçus faciles à saisir, par des leçons détachées dont chacune fait un tout, saura mieux attirer et retenir la foule. Une sorte de rivalité souverainement déplacée s’établira, rivalité où le savant sérieux, celui qui aspire à enseignera ses auditeurs quelque chose de positif, aura nécessairement le dessous. Ce qu’il faut, c’est que l’oisif qui en passant s’est assis un quart d’heure sur les sièges d’une salle ouverte à tous les vents sorte content de ce qu’il a entendu. Quoi de plus humiliant pour le professeur, abaissé