Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/857

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois prises et des préférences une fois arrêtées. Où est le mal après tout? Qu’y a-t-il dans cette fidélité à soi-même que l’on ne puisse aussi convertir en un grief à l’adresse de la plupart des maîtres? L’essentiel en pareil cas est de savoir se garder de l’excès. Pourvu qu’il ne s’immobilise pas dans la convention et dans les redites, pourvu qu’au lieu de tailler toutes ses œuvres sur un patron consacré, il travaille seulement à les déduire les unes des autres, et, par cela même, à en renouveler l’esprit, un peintre a bien le droit, sinon le devoir, de se tenir à la doctrine qu’il a embrassée et à la pratique qui y est conforme. Ceux qui seraient tentés de reprocher à Flandrin la fixité apparente de sa manière ne feraient en réalité que rendre hommage à la fermeté de ses convictions. Peut-être, si elles venaient à se produire, de pareilles critiques tendraient-elles à augmenter l’estime pour la persévérance de ce talent, bien plutôt qu’à nous inspirer des doutes sur sa valeur secrète et sur ses ressources.

Il est deux autres objections toutefois qui pourraient avoir sur l’opinion une influence plus défavorable, et que l’on a répétées assez souvent pour que nous ne devions pas les laisser sans réponse. Tout en louant les mérites de Flandrin au point de vue du dessin et du style, on se contente en général si volontiers de cet éloge qu’il semble seul légitime, et que dans ces œuvres où le coloris et le pinceau ont leur rôle, dans ces œuvres peintes en un mot, rien ne se retrouve que le crayon n’eût pu aussi bien exprimer. Que de gens en outre sacrifient à la docilité de l’élève le talent personnel du peintre, et ne veulent voir dans les travaux de celui-ci que le souvenir le plus fidèle, l’imitation la plus rigoureuse des exemples de M. Ingres! Procéder ainsi, c’est demeurer fort en deçà de la justice, et, sans forcer nullement la vérité, sans contester ce qui manque à Flandrin pour être, à proprement parler, un coloriste, sans méconnaître ce qu’il doit aux leçons de son illustre maître, on a le droit de dire qu’il y a là un double préjugé.

Qu’on se figure en effet les peintures d’Hippolyte Flandrin réduites à l’apparence d’images monochromes, de simples dessins: ne perdraient-elles pas à cette transformation non-seulement la moitié de leur vraisemblance, mais encore une grande part de leur charme? Que resterait-il par exemple de l’habileté avec laquelle les touches superposées s’assouplissent et s’harmonisent entre elles, de ce faire si exactement approprié au moyen matériel qu’ils se complètent et s’expliquent l’un par l’autre, comme les développemens d’une phrase musicale correspondent aux conditions de sonorité particulières de l’instrument qui la traduit? Un compositeur ne se sert pas indistinctement des mêmes combinaisons pour faire chanter les violons et les orgues : un peintre aussi est tenu de varier les ca-