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lorsqu’une fois, averti des empêchemens survenus, il lui fallut se résigner à voir Flandrin s’éloigner de la lice, ne put-il lui dissimuler combien la résignation lui coûtait. Flandrin ne résista pas à l’expression attendrie de ces regrets. Plus fort contre un surcroît de privations personnelles que contre le déplaisir qu’il causerait à son maître, il résolut de se présenter au concours, où il fut admis le cinquième. Restaient, en dehors de l’insuffisance ou de la nullité des ressources matérielles, d’autres obstacles plus difficiles encore à surmonter, mais dont il triompha pourtant à force de volonté, de patience et de courage.

On était au printemps de l’année 1832, c’est-à-dire à l’époque où le choléra sévissait pour la première fois à Paris. Atteint déjà par l’influence épidémique avant le moment de son entrée en loge, Flandrin était, bien peu après, tombé tout à fait malade. Bon gré, mal gré, il avait fallu interrompre la tâche à peine commencée, et sacrifier au soin d’une santé compromise d’ailleurs par une grave affection rhumatismale quelques-uns de ces jours comptés d’avance et destinés tout entiers au travail. Qui sait s’il sera possible de regagner le temps ainsi perdu? qui sait même si la mort n’achèvera pas d’immobiliser tout à l’heure ce corps à demi épuisé par les souffrances, comme elle vient de saisir un des concurrens pour le prix de Rome, foudroyé, en se rendant à l’école, par le fléau? Le médecin qui visitait Flandrin le menaçait d’un sort semblable pour peu qu’il essayât de quitter son lit, à plus forte raison de se remettre à l’œuvre. Il s’y remit pourtant, la continuant chaque fois et aussi longtemps qu’il le pouvait sans succomber littéralement à la fatigue, expiant par un repos forcé son énergie de la veille, sauf à recommencer l’épreuve le lendemain et à se traîner de nouveau, appuyé sur le bras de son frère, jusqu’au seuil de cette école d’où il devait, après tant de courageux efforts, sortir enfin vainqueur des autres comme de lui-même, et aussi bien aguerri par l’expérience contre les périls de l’art que contre les maux ou les difficultés de la vie.


II.

Le prix décerné à Flandrin était le premier qu’eût remporté un élève de M. Ingres, le premier succès public par conséquent d’une école bien récemment ouverte et malheureusement trop tôt fermée pour les progrès et pour l’honneur de l’art contemporain. Les deux années qui s’écoulèrent à partir de cette époque jusqu’au jour où M. Ingres quitta Paris pour aller remplir à Rome les fonctions de directeur de l’Académie de France devaient être marquées par