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de peintre en miniature : heureux encore lorsque la besogne ne venait pas à manquer, et qu’au souvenir de ses espérances déçues ne s’ajoutaient pas dans le présent des préoccupations d’un ordre tout matériel !

Cependant ses fils grandissaient. Tout en acceptant pour son propre compte une vie difficile et sacrifiée, le pauvre miniaturiste se reprenait à rêver pour chacun d’eux l’avenir qu’il s’était autrefois promis. Déjà l’aîné commençait à faire acte de peintre[1], et la mère de famille elle-même, un peu rassurée par les encouragemens qui avaient au dehors accueilli ces débuts, s’était résignée à le voir s’engager dans une carrière dont elle avait d’abord essayé de le détourner; mais, lorsqu’il fut question de laisser ses deux autres enfans s’y aventurer à leur tour, elle répondit cette fois par un refus formel. N’était-ce pas assez d’un peintre dans la famille? A quoi bon multiplier pour celle-ci les chances incertaines, demander aux hasards de l’art et du talent ce que la pratique d’un métier pouvait si sûrement procurer? Au lieu de faire entrer Hippolyte dans l’atelier d’un artiste, c’était dans une manufacture de soierie qu’il convenait de le mettre en apprentissage. Là du moins il gagnerait dès à présent le pain de chaque journée, en attendant que de la condition d’apprenti il fut élevé à l’emploi d’ouvrier, qui sait? peut-être un jour aux fonctions de commis. Quant à Paul, il apprendrait l’état de tailleur, et déjà la boutique avait été choisie où il devait être placé.

En indiquant quelque chose des premiers obstacles suscités à la vocation d’Hippolyte Flandrin, nous n’avons garde d’y chercher un prétexte pour renouveler ces lamentations banales sur l’aveuglement ou les préjugés des parens à qui le ciel a donné un enfant promis à la gloire. Rien de plus naturel et pourtant rien de moins juste que de porter ainsi des accusations après coup. Il est certain que si, dans l’humble maison où était né Hippolyte Flandrin, les inquiétudes maternelles eussent prévalu, la France ne compterait pas aujourd’hui un grand peintre de plus. Suit-il de là que ces inquiétudes fussent déraisonnables et ces craintes mal fondées ? Dans un pareil milieu, à un pareil moment, elles semblaient au contraire parfaitement légitimes, et si plus tard l’événement les a hautement démenties, la misère et les rudes épreuves ne devaient d’abord que

  1. Auguste Flandrin, mort à l’âge de trente-huit ans, en 1842. Parmi les tableaux de sa main qui ont figuré aux expositions publiques et qui y ont été justement remarqués, on peut citer une Prédication de Savonarole dans l’église de San-Miniato, aujourd’hui au musée de Lyon, — une Mère pleurant son enfant mort, au musée de Strasbourg, et un tableau représentant des Baigneuses, achevé par Auguste Flandrin peu de temps avant sa mort.