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faits sont-ils confondus avec les minuties, les noms illustres avec les noms obscurs? L’auteur nous répondra sans doute que ce travail a été entrepris pour l’Écosse autant que pour la France, que les souvenirs dont nous sommes peu touchés ont de l’intérêt pour nos anciens alliés, que les Écossais, moins oublieux que nous, aiment à consacrer la mémoire de cette antique fraternité des deux races, et qu’il a obéi à un sentiment de patriotisme en ouvrant ses pages aux renseignemens, bien mieux, aux sollicitations qui lui arrivaient de toutes parts. Dans ce grand livre de l’amitié de l’Écosse et de la France, aucun gentilhomme écossais, pourvu de ses documens historiques, n’a voulu laisser omettre le nom de sa famille. A la bonne heure! voilà un argument, et le succès que les recherches de M. Francisque Michel ont déjà obtenu dans le royaume-uni plaide aussi en faveur de son procédé. Bornons-nous donc à faire nos réserves au point de vue de l’art, et sachons gré à fauteur de tout ce qu’il a mis d’attrayant et d’utile en ce magasin trop encombré.

Le tableau de M. Francisque Michel commence avec les premiers temps du moyen âge, mais c’est surtout pendant la guerre de cent ans, sous Louis XI et Charles VIII, sous les derniers Valois, enfin pendant tout le XVIIe siècle, que son sujet lui a fourni les développemens les plus abondans et les plus neufs. Le rôle des Écossais pendant la guerre de cent ans est très nettement indiqué; le patient érudit a consulté toutes les chroniques, et nul détail ne lui échappe. La part qu’ils ont prise dans nos rangs à ces batailles terribles, les jalousies qu’ils excitaient parfois chez les soldats de la France, l’appui que leur prêtaient nos chefs, leur fierté intraitable en face des Anglais et la guerre sans merci qu’ils se faisaient les uns aux autres, tout cela est mis sous nos yeux d’après les rapports des témoins. « C’était, dit un chroniqueur contemporain à propos du désastre de Verneuil (1424), c’était un spectacle affreux à contempler que celui des monceaux de cadavres entassés et pressés sur ce champ de bataille, là surtout où la lutte avait eu lieu avec les Écossais, car pas un d’eux ne fut épargné à titre de captif... » Malgré les mésintelligences qui pouvaient s’élever parfois entre les Français et leurs auxiliaires pendant ces guerres désordonnées, la France ne cessait de compter sur l’amitié de l’Écosse, puisque Charles VII, dans une heure de désespoir, eut la pensée de se réfugier dans ses montagnes. Un matin qu’il était livré à ses tristes pensées, il entra dans son oratoire, « et là, — dit un contemporain, Pierre Sala, dans le livre intitulé Hardiesses des grands rois et empereurs, — il fit une humble requête et prière à notre seigneur, dedans son cœur, sans prononciation de paroles, où il lui requérait dévotement que, si ainsi était qu’il fût vrai héritier descendu de la noble maison de France et que le royaume justement lui dût appartenir, qu’il lui plût de le lui garder et défendre, ou au pis lui donner grâce d’échapper sans mort ou prison, et qu’il se pût sauver en Espagne ou en Écosse, qui étaient de toute ancienneté frères d’armes et alliés des rois de France... »