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M. de Saint-Priest, dans ses belles études sur le partage de la Pologne, caractérisait ici même la première rupture de l’Allemagne avec le Danemark à l’occasion des duchés par ces mots : « la guerre la plus injuste qui fut jamais[1]. » On peut en dire autant de celle-ci. Le Danemark affirmera son droit devant tout tribunal impartial, sans crainte d’être démenti et condamné. Si ses plénipotentiaires plaident à Londres en ce moment qu’il n’a commis dans tous ces longs débats aucune véritable faute, probablement ils sont dans le vrai. Affirmer l’oppression des duchés par le fait même du Danemark, c’est se moquer, et ceux-là commettent une étrange confusion, en Allemagne et ailleurs, qui, se disant les défenseurs de la liberté, prennent parti contre ce petit peuple. Avant de donner l’exemple d’un courage et d’un patriotisme mémorables, il a su s’élever en quinze ans, sans le moindre trouble civil, au milieu de mille embarras que lui suscitaient les prétentions étrangères, du rang inférieur des nations régies par l’absolutisme au rang supérieur des nations constitutionnelles et libres. Il a voulu étendre au Slesvig les libertés dont il jouissait lui-même, et le seul parti allemand s’y est opposé, pour le plus grand profit des hobereaux et de ce qui reste encore d’institutions féodales. Déplorer le triste sort d’une nationalité souffrante dans le Slesvig, c’est se moquer, à moins qu’on ne parle de la population scandinave, qui est là chez elle après tout, et que les Allemands, reçus jadis en hôtes dans ses villes, veulent chasser aujourd’hui, comme si elle n’était pas la maîtresse de la maison. Quel nombre d’intrus constituera, selon vous, dans un pays étranger, une nationalité à laquelle la majorité des anciens habitans doive obéir? Il n’y a dans ce duché que des sujets danois, quel que soit leur idiome. Ce ne sont pas les campagnes du Slesvig méridional qui réclament contre l’ancienne domination de leur duc, roi de Danemark : c’est une partie des habitans des villes dans le centre même du duché. Qui donc les empêche d’aller vivre en Allemagne, s’ils se trouvent mal gouvernés dans la monarchie danoise? Ils forment un parti factieux, non pas une nationalité.

Mais il n’en va pas de même pour le Holstein, il est vrai, et c’est ici qu’une distinction importante permet de répartir équitablement la justification et le blâme. Certes il y a au fond de cette émotion qui s’est emparée de toute l’Allemagne autre chose qu’une pure et simple injustice, et le faux n’a pas cette puissance d’entraîner à sa suite quarante millions d’hommes. Il n’est que trop facile de s’expliquer la passion germanique en dehors de toute faute commise par les Danois. Il y a d’abord quelques raisons mauvaises. L’Allemagne a subi depuis quinze ans plusieurs sortes d’humiliations : la principale a été, lorsqu’une des deux grandes monarchies qu’elle compte dans son sein a été vaincue sur les champs de bataille, de ne lui avoir su porter aucun secours: elle a eu, dans cette occasion, le sentiment amer et de ses divisions intestines et de l’impuissance où la condamne sa consti-

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 octobre 1840.