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réunir contre lui les deux grandes fractions de l’assemblée. Les résultats de cette politique désordonnée étaient dénoncés dans la chambre par les amis mêmes du prince. Le parti ministériel lui-même, à une adresse proposée par la majorité, opposa un jour un projet plus modéré, mais où il était dit que « la justice et l’administration étaient scandaleuses, que l’administration empiétait sur le terrain de la justice, que les garanties manquaient à la liberté de la presse et à la liberté individuelle, que le pays était épouvanté du désordre qui régnait dans les finances, que les comptes de plusieurs années n’avaient pas été présentés, etc. « C’est en réclamant contre une administration corrompue et arbitraire, contre une justice vénale, contre la dilapidation des finances, dont on ne voulait pas lui rendre compte, que l’assemblée s’est rendue odieuse au prince Couza. La loi rurale n’a été, nous le répétons, qu’un prétexte choisi pour donner le change aux paysans et à l’Europe sur l’objet et les causes du conflit. Ce qui est grave dans le coup d’état du prince Couza, c’est qu’il porte atteinte non-seulement aux droits des Roumains, mais à la convention européenne qui, en constituant la Roumanie, lui avait donné les institutions qu’on vient de briser. Les puissances signataires de la convention sont donc mises en demeure et ont le droit de veiller à ce qui se passe dans les principautés : parmi ces puissances, il en est trois, l’Autriche, la Russie et la Turquie, qui touchent la Roumanie par leurs frontières. Si le prince Couza eût été animé d’un véritable patriotisme, s’il eût sincèrement souhaité d’asseoir la nationalité roumaine, il eût consacré tous ses efforts à unir ses concitoyens en les associant par la liberté au gouvernement du pays, et il eût évité scrupuleusement d’ouvrir par des révolutions intérieures l’accès de la Roumanie à l’intervention étrangère. Il se peut que, détournée par d’autres soins et retenue par la prudence, cette intervention ne s’exerce point immédiatement; mais on ne peut se dissimuler les graves dangers que recèle la situation des principautés. Ceux qui voient dans les coups d’état des mesures de salut ne peuvent reconnaître dans un homme tel que Couza, auquel manquent aussi notoirement la droiture du caractère, la fixité des idées et la capacité administrative, la trempe d’un sauveur de la société.

Cette affaire des principautés, venant se joindre à la question danoise, est comme un avertissement réitéré adressé à notre politique pour lui rappeler l’importance de l’alliance anglaise. Si un cas urgent se présente et si cette alliance nous fait défaut, nous aurons à souffrir dans la part que nous avons prise à l’union des principautés et dans l’intérêt que nous devons porter aux destinées de la Roumanie. La solution de la question danoise par la division du Slesvig sera un rude déboire pour l’opinion publique anglaise, et nous désirons qu’elle ne nous prouve point en Orient ou ailleurs qu’elle nous en veut de n’avoir pas écarté d’elle cette humiliation. Nous sommes curieux de voir comment s’y prendra lord Palmerston pour justifier devant la chambre des communes le partage du Slesvig. Le vieux lord, après une assez longue attaque de goutte, a fait sa rentrée dans la chambre