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laisser voir au monde qu’elles sont annulées par leur isolement. Il a appris à l’Allemagne que, lorsque ces trois puissances sont isolées, elle est capable d’affronter de difficiles entreprises sans rencontrer de résistance sérieuse, et d’obliger la Russie, l’Angleterre et la France de tourner malgré elles dans l’orbite des affaires germaniques. Nous faisons des vœux pour que M. de Bismark veuille bien se contenter d’un seul succès de cette sorte.

Si la question danoise peut arriver à un dénoûment quelconque, il semble qu’elle soit destinée à être bientôt remplacée dans les préoccupations européennes par une affaire orientale, l’affaire des principautés roumaines. Le prince Couza, qu’un hasard a mis à la tête des Principautés-Unies, est, lui aussi, un personnage qui aime à faire parler de lui. Il vient d’étonner l’Europe par nous ne savons quelle singerie de coup d’état autour duquel les télégrammes font tapage. Le prince Couza, suivant la mode de tous les temps et de tous les lieux, donne à la dictature dont il s’empare la couleur d’une révolution démocratique. Le prétexte qu’il a choisi pour abroger la liberté de la presse et chasser le parlement roumain a été un projet de loi rurale qui doit conférer aux paysans le droit de propriété. Ce prétexte est hypocrite, et ne peut tromper les hommes politiques d’Europe qui ont observé la carrière du prince Couza depuis son avènement. Au fond, ce qu’a voulu le prince, c’est prendre le pouvoir arbitraire. Entre son parlement et lui, la querelle véritable ne portait point sur la loi rurale. Le prince n’a pas donné au parlement le temps de discuter et de voter cette loi ; la majorité de l’assemblée était notoirement favorable à la rénovation sociale qui devait donner aux paysans la propriété. Ce qui est évident pour ceux qui ont étudié l’histoire des principautés depuis l’union, c’est que le prince Couza n’a point montré les qualités d’esprit et de caractère par lesquelles un chef d’état organise une nationalité et fonde un gouvernement. Pour se convaincre qu’il a bien plus que l’assemblée aujourd’hui accusée par lui contribué à l’instabilité des choses en Roumanie, il n’y a qu’à rappeler un fait. Depuis l’avènement du prince, c’est-à-dire en six années, vingt cabinets se sont succédé en Roumanie. Cinq de ces ministères seulement sont tombés devant un vote de la chambre; les autres ont été élevés ou renversés par le bon plaisir du prince. C’est donc le prince et non la chambre qui est coupable de l’état de trouble et de confusion produit par une si étrange consommation de ministères. Ces changemens insensés prouvent deux choses : d’abord que le prince Couza se distingue par une prodigieuse versatilité d’esprit et de caractère, ensuite qu’il a méconnu les lois du régime représentatif que la convention européenne de 1858 a données à la Roumanie, et qu’il a continuellement éludé ces lois par les caprices de l’arbitraire. Cette versatilité capricieuse explique aussi et les griefs et la force de l’opposition qui s’était formée contre lui. Le prince s’était également joué du parti conservateur et du parti libéral, et il avait fini par