Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reur Alexandre s’y résignait toutefois… Mais il voulait que dans ses propres états Napoléon y mît quelque réserve ; il le voulait par un sentiment de dignité… et par son intérêt agricole et commercial. » En Hollande, « il était venu de Boulogne, Dunkerque, Anvers, Clèves, Cologne, Mayence, des légions de douaniers français, ne parlant pas le hollandais, habitués à une rigueur de surveillance extrême, et apportant dans l’exercice de leurs fonctions une sorte de point d’honneur militaire qui les rendait brusques et peu corruptibles… Il fallait que les Hollandais souffrissent sur leurs côtes et dans leurs ports la présence de ces agens étrangers et subissent leur visite minutieuse, qui était insupportable pour un peuple presque exclusivement navigateur et habitué de tout temps à une grande liberté de commerce. » Ce sont ces contraintes et ces vexations qui ont amené la chute du blocus continental et en même temps de l’empire : qu’eût-ce été du blocus continental de Sanuto ? Il était impraticable avant d’être établi.

Il me reste à signaler une dernière analogie entre le blocus de Sanuto et celui de Napoléon. Sanuto fait un chapitre pour montrer « comment les terres des chrétiens peuvent produire les denrées qui viennent en Égypte. Le sucre et la soie sont des productions de l’Égypte qui rapportent beaucoup au Soudan ; mais Chypre peut fournir beaucoup de sucre aux chrétiens. Le sucre vient à Rhodes, en Morée, à Malte, et il pourrait venir en Sicile et en d’autres pays chrétiens, si on le voulait bien. Le ver à soie vit dans la Pouille, en Sicile, en Crète, en Romanie, en Chypre. En interdisant le commerce du sucre et de la soie d’Égypte, la chrétienté n’en manquerait donc pas. La prohibition même ferait qu’on s’appliquerait plus à cette culture dans les pays chrétiens qui la comportent[1]. » Voyons maintenant Napoléon en 1810 : « Les manufacturiers du continent qui cherchaient à filer, à tisser le coton, à extraire le sucre du raisin ou de la betterave, la soude du sel marin ou les teintures de diverses combinaisons chimiques, devaient trouver dans une différence de prix, qui était souvent de 50, 60 et même 80 pour 100, un encouragement suffisant pour leurs efforts. Aussi les manufactures du continent, surtout celles de la France, étaient-elles en grande activité. Il est vrai que le consommateur supportait la cherté de leur fabrication ; mais il y était résigné comme à une condition de la guerre, et on atteignait par ce moyen un double but, celui de créer l’industrie française et celui de déprécier les valeurs sur lesquelles repose le crédit de l’Angleterre[2]. »

  1. Secreta fidelium Crucis, chap. II, p. 24.
  2. M. Thiers, t. XII, p. 182.