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juste affaire notre cousin France ferme son cœur à nos prières. — Mon bon seigneur, répond le gentilhomme, pour juger la condition de votre état, je suis dans la position d’un homme du commun qui voit les choses du dehors, et que la grande machine de son gouvernement entraîne, sans qu’il y puisse rien, dans son mouvement. Aussi je n’ose pas dire ce que je pense de la conduite de la France, puisque, sur le terrain incertain où je me trouve, je me suis trompé toutes les fois que j’ai essayé de faire une conjecture. « Ne vous semble-t-il pas entendre le libéral, l’énergique, le brave Danois nous exprimer la même surprise à nous tous Français, qui proclamons la justice de sa cause eu dénonçant l’hypocrisie et l’iniquité de l’agression dont il est victime, et nous demander à quoi songe le cousin France? Ne sommes-nous pas obligés de lui répondre, comme le gentilhomme français au duc de Florence : « Nous sommes des gens du commun, nous ne voyons les choses que du dehors; nous ne sommes point admis aux conseils de cabinet, on nous laisse à la porte des conférences; nous sommes entraînés par un mouvement dont nous ne sommes pas les maîtres : comment vous expliquerions-nous ce que nous ne comprenons point, ô brave Danois, puisque de notre part toute conjecture pourrait être erreur?» Nous donnerions bien pourtant quelque chose pour savoir ce qui se passe dans la conférence. Nous sommes sûrs que cette réunion diplomatique présente des scènes intérieures que croquerait à ravir le génie profond et comique d’un Shakspeare. Les protocoles de cette conférence seront un jour publiés, la ponctualité et la sincérité du blue-book nous en répondent. On verra alors si nous nous trompons.

On peut se figurer les divers rôles. Voici d’abord les trois Allemands : le Prussien plus hardi, plus sec, plus tranchant, l’Autrichien plus modéré, plus réservé, le représentant de la diète observant, écoutant, épiant l’occasion de placer un mot qui, sans le séparer de ses puissans collègues, marque pourtant la place et la physionomie de cette troisième Allemagne rêvée par les états moyens et petits de la confédération. Nous jurerions que les trois Allemands ont conduit les choses méticuleusement et d’une façon cauteleuse. Quand il a été question de l’armistice, ils ont exigé la cessation du blocus exercé par le Danemark sur les ports allemands. Une idée juste a dû naturellement venir à l’esprit des plénipotentiaires français et anglais : c’est que le blocus était la compensation de l’occupation du Jutland, et qu’il était équitable que, le blocus cessant, le Jutland fût évacué. On n’a rien pu obtenir des Allemands; M. de Beust, pour faire sa place à la diète, n’aura pas manqué de donner à entendre que, si les hostilités maritimes continuaient, la diète prendrait part aux hostilités sur terre. Pour arrêter l’effusion du sang, il a fallu céder en laissant l’armée austro-prussienne dans le Jutland. L’armistice conclu, on a dû aborder le fond de la question. Sur quoi traiterait-on? La base naturelle était le traité de 1852. La Prusse et l’Autriche ont évidemment rejeté cette base. Le traité, ont--