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Frappée au contraire du talent qu’a déployé M. Rouher, regardant la vigueur parfois un peu rude de la parole de ce ministre comme le signe d’une fermeté de caractère qui accompagne ordinairement une certaine indépendance d’esprit, ayant remarqué aussi en plus d’une occasion les tendances libérales de l’auteur du traité de commerce, elle le désigne comme l’homme d’une politique à la fois libérale et gouvernementale. Au bout de l’horizon, dans un lointain mirage, flotte une autre figure que l’on associe au rétablissement hypothétique du régime parlementaire : c’est celle du duc de Morny, C’est la signification que l’on a donnée à certaines coquetteries de M. de Morny. On entend dire que, de même que M. de Morny a joué le rôle principal au coup d’état de 1851, de même la loi des contrastes et la bonne grâce de sa carrière veulent qu’il soit le président du conseil du premier cabinet parlementaire, si nous sommes destinés à posséder jamais un tel cabinet. On entrevoit donc trois combinaisons possibles, M. Rouher entre les ducs. On va plus loin : ainsi que le peintre marie ses tons, les causeurs politiques, autour de chacun des trois noms principaux que nous avons signalés, posent d’autres noms qui achèvent la couleur des trois groupes. On nous pardonnera de ne parler de ces conjectures vaporeuses que d’une façon ondoyante. Il y a là pourtant le commencement d’une situation nouvelle, le badinage qui prélude à un intéressant travail d’opinion, un symptôme de ce que nous appelons la marche naturelle des choses. Cela n’existe encore qu’à l’état de bourdonnement, mais de bourdonnement assez bruyant pour que le sévère Moniteur ait cru devoir imposer le silence. On annonçait que c’était après la session que nous verrions le jeu des combinaisons ministérielles; la note du Moniteur a protesté contre ces bruits de changement. Soit : que les choses restent ce qu’elles sont, nous avons trop peu d’inquiétude d’esprit et d’impatience pour nous en plaindre. Nous aimons même le bon duc Vincentio conservant ses ministres et les haranguant de la sorte au début de la comédie de Shakspeare Measure for measure : «Escalus, vous développer la nature et les conditions du gouvernement serait de ma part une affectation de rhétorique, sachant que votre science surpasse tout ce que mes avis vous pourraient fournir. Je connais votre aptitude, il ne me reste plus qu’à la laisser à l’œuvre. Voilà vos commissions.» Un discours de ce genre, prononcé au début de l’été, à l’entrée des vacances, ne sera jamais hors de saison, et nos présens ministres sont nécessairement et unanimement d’avis qu’ils ont mérité de l’entendre.

Nous demanderons encore à l’opulent Shakspeare une transition pour passer de nos affaires intérieures à la question danoise. Ceux qui sont au courant de la politique shakspearienne n’ont point oublié la terrible guerre que soutient le duc de Florence contre ses voisins dans All’s well that ends well. Le duc a invoqué le secours de la France, et ce secours n’arrive point. «Je m’émerveille fort, dit le duc à un gentilhomme français, qu’en une si