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prendre part à la vie publique ont pu voir aussi par cet exemple qu’il y a place pour leur activité et pour leurs efforts, que le découragement et l’abstention ne sont plus de mise, qu’il ne nous est pas permis d’affecter l’inertie comme une forme du dédain, que nous ne devons pas commettre la faute des classes éclairées des États-Unis, et abandonner exclusivement la direction des affaires publiques à une classe formée d’agens officiels et de potiticians de profession. Nous espérons que la leçon qui ressort de cette première expérience ne sera point perdue dans nos prochaines élections des conseils-généraux. On assure que le ministre de l’intérieur, M. Boudet, a adressé aux préfets, à propos de ces élections, une circulaire qui fait honneur à sa modération, et qui tend à contenir, au lieu de les exciter, les passions administratives. Nous sommes charmés que M. le ministre de l’intérieur renonce dans cette circonstance au système qui a si peu réussi à son prédécesseur. Si l’attitude modérée qui est attribuée à M. Boudet témoigne d’une sage intelligence de la situation, les libéraux, par leur empressement et leur union, montreront, eux aussi, qu’ils comprennent le devoir qui les invite» dans les circonstances actuelles, à poursuivre le succès de leurs candidatures, et à constater par le résultat des élections les progrès que leurs opinions font dans le pays.

Mais parmi les effets de la dernière session il en est un auquel nous prenons un intérêt particulier. Nous nous demandons quelle impression ce réveil de vie politique a dû produire sur la chambre elle-même et sur le gouvernement. Nous croyons que pour la chambre l’impression a été bonne. La majorité sans doute se ressent de son origine : elle contient des esprits excessifs qui ne peuvent oublier ce qu’ils doivent au système des candidatures officielles. Pour se figurer qu’il en pût être autrement, il faudrait méconnaître la nature humaine. Cependant la majorité prise en masse nous semble être entrée dans une voie progressive. On aurait pu craindre que la majorité, effarouchée par une franchise et une vigueur de parole auxquelles elle n’était point habituée, ne se hérissât contre l’opposition et ne se montrât intolérante envers la contradiction. Il n’en a point été ainsi. Non-seulement la majorité ne s’est point effrayée de la discussion, mais elle y a pris un goût manifeste. Toute assemblée a son point d’honneur, et c’est l’heureux privilège d’une assemblée française de ne pouvoir demeurer insensible au talent. Les orateurs nouveaux de l’opposition qui sont entrés dans le corps législatif lui ont apporté un lustre qui a rejailli sur ce corps tout entier. Leur renommée, l’illustration de leur carrière, le prestige d’une sorte de résurrection surprenante et d’une éloquence persistante et comme rajeunie ont élevé la chambre à ses propres yeux comme aux yeux du public. On pourrait dire que la place occupée par chaque député dans l’état en est devenue plus grande et plus haute. D’ailleurs le talent n’est point un don égoïste et solitaire; il est fécond, il se communique, il est contagieux. Le voisinage, le contact, le choc, ont porté bonheur à plusieurs