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cien parloir, qu’on a converti en musée et où l’on réunit toutes les reliques de Shakspeare, son cachet retrouvé dans un champ par un paysan au commencement de ce siècle, la seule lettre, non de lui, — malheureusement on n’en possède pas une seule, — mais adressée à lui, qui nous soit parvenue, d’autres objets encore, généralement authentiques, qui excitent au plus haut degré la curiosité un peu matérielle des Anglais. Je suis sûr que beaucoup d’entre eux aimeraient mieux posséder la plus petite bagatelle qui lui eût appartenu que la plus belle édition de ses œuvres. Du parloir on monte, par un étroit escalier, à la chambre située au-dessus de la cuisine et où la tradition fait naître le poète. Rien de plus simple ni de plus modeste : un plafond bas, une fenêtre étroite, des murs qui seraient nus, si les visiteurs n’y avaient inscrit leurs noms. Tout cela paraîtrait misérable, si l’imagination ne repeuplait cette masure en y replaçant le glorieux enfant qui y ouvrait les yeux il y a trois siècles. Un poète du reste a pu naître là : ses regards se sont reposés sur des formes et sur des couleurs simples, mais non vulgaires, et dont certains aspects gardent encore une secrète poésie.

Transmise par Shakspeare à sa fille Susanna, par celle-ci à lady Barnard, la descendante directe du poète, puis ayant fait retour jusqu’en 1806 aux descendans de la sœur de Shakspeare, la maison d’Henley-street, acquise par souscription, est devenue maintenant une propriété nationale sur laquelle les autorités de Stratford veillent avec un soin jaloux. On pousse les précautions jusqu’à n’y admettre ni l’usage du feu ni celui d’aucune lumière. La chaleur nécessaire à l’entretien des murs n’y arrive que par des bouches qui partent d’une habitation voisine.

Dans une autre rue se voient, précieusement conservées, les fondations de la maison considérable que le poète avait achetée en 1597, maison bien connue sous le nom de New Place, où Shakspeare est mort, où sa fille et sa petite-fille ont vécu, où, pendant les guerres civiles, en 1643, la reine Henriette, la femme de Charles Ier, cette Henriette de France dont Bossuet a fait l’oraison funèbre, sans soupçonner peut-être le nom de Shakspeare, a passé tout un été, et reçu sa cour au milieu des meubles qui, vingt-sept ans auparavant, servaient encore à l’auteur d’Othello. Derrière New Place s’étend un vaste jardin au centre duquel s’élevait le fameux mûrier qu’on disait planté de la main de Shakspeare. Les habitans de Stratford n’ont pas assez de malédictions pour un nommé Gastrell, qui, ayant acheté la propriété, a fait abattre l’arbre en 1758, afin d’échapper aux obsessions incessantes de ceux qui voulaient le voir, et l’a vendu sous forme de coupes, de tabatières, de serre-papiers, et d’autres menus objets pour lesquels s’est renouvelé le miracle de la multiplication des pains, et que les fanatiques se disputent encore