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affinités électives, la lumière et la couleur ; il leur a été infidèle aujourd’hui, et nous sommes en droit de le lui reprocher, car son tableau est d’un caractère indéfini et douteux qui peut-être ferait la gloire d’un autre peintre, mais qui n’est point, à notre avis, tout à fait digne de l’artiste éminent à qui l’on doit le Berger kabyle et le Bivouac au lever du jour.

Ce qui manque le plus souvent aux artistes, ce sont les idées générales. Il me semble qu’ils devraient toujours être séduits par des sujets abstraits : le printemps, la mort la guerre, toute allégorie mise de côté. Loin de là, ils recherchent l’exception, ce qui est bien plus le fait de la littérature que des arts plastiques ; ils aiment l’étrange, et ne voient pas qu’ainsi ils se rendent parfois inintelligibles, tandis que leur effort principal doit tendre à être compris immédiatement et par tous. Aussi sommes-nous heureux lorsque nous voyons un peintre se mettre d’emblée en communication avec le public, non point, bien entendu, par le sujet en lui-même, mais par la façon dont il l’a traité. M. Schreyer est dans ce cas, et son Arabe en chasse exprime sans ambiguïté ce que l’artiste a voulu. Malgré une nuance dominante gorge de pigeon, qui touche à l’afféterie, la coloration générale n’est point mauvaise. Le ciel est grisâtre, zébré de teintes d’un roux indécis, et il se marie bien avec des terrains d’une facture trop lâchée, qui servent de berge à un ravin dont l’eau presque dormante forme le premier plan. Un Arabe couvert de vêtemens qui tirent sur le blanc, monté sur un cheval d’un gris très clair, se lève sur ses larges étriers et examine la plaine que le spectateur devine sans l’apercevoir. Le cavalier, vu de dos, à demi retourné, montrant de profil perdu son visage basané, est dans une posture exacte qu’il était difficile de mieux rendre. Dans son mouvement d’ensemble et dans son geste spécial, on reconnaît la préoccupation, la recherche, l’inquiétude. La main qui a dessiné ce chasseur du Moghreb est déjà habile et rompue aux difficultés du métier. La ligne précise est aussi difficile à acquérir dans le dessin que le mot précis en littérature. C’est à cela cependant, et non à autre chose, que tient l’expression, l’expression juste et absolument vraie qui seule peut satisfaire un artiste. Le cheval, qui marche en se rengorgeant, comme s’il était martingalé trop court, a de jolies allures élégantes qui, sans avoir besoin de généalogie, font reconnaître sa race au premier coup d’œil. M. Schreyer paraît du reste avoir vécu dans la familiarité des chevaux et les avoir étudiés avec prédilection. Les Chevaux de Cosaques irréguliers par un temps de neige sont là pour l’affirmer. Près d’une cabane construite en rondins et en branchages, sous un ciel blanc qui chasse des tourbillons de neige, des chevaux sont arrêtés, attachés par la bride, abandonnés à la meurtrière inclémence de la tourmente, pendant que leurs