Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/697

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait. M. Maisiat a choisi un thème de coloration très chaude et l’a développé avec un vif sentiment de l’harmonie. L’exécution, à la fois large et serrée, est assez parfaite pour ne se laisser deviner que très difficilement ; une atmosphère habilement distribuée circule à travers ces fruits et ces feuillages détachés de leur tige ; c’est beau comme une belle tapisserie des Gobelins, mais j’estime que M. Maisiat, maître d’un talent comme le sien, devrait être tenté par des sujets pris en dehors de ce qu’on appelle la nature morte. Faut-il toujours le répéter ? Le but suprême offert aux tentatives des artistes, c’est l’homme, et il vaut mieux être un peintre d’histoire de second ordre que de surpasser van Huysum, Mignon et Ruoppoli. Je sais que la plupart des artistes ne partagent point cette opinion, et l’on aurait tort de croire qu’ils sont entraînés à choisir tel ou tel sujet par la grandeur qu’il comporte ou par le sentiment qu’il exprime ; la cause déterminante de leur préférence est d’un ordre moins élevé, et le plus souvent ils ne sont influencés que par un ton qui leur plaît ou une difficulté de coloris qui les séduit.


III.

La coloration, je le sais, est une des parties les plus importantes de la peinture, car c’est elle qui fait le charme d’un tableau et produit l’impression première. Les maîtres le savaient, aussi la soignaient-ils particulièrement. L’abbé Lanzi rapporte, d’après Boschini, que « la maxime favorite de Titien était que celui qui veut être peintre doit bien connaître trois couleurs et s’en rendre maître, — le rouge, le blanc et le noir. » Est-ce cette maxime dont M. Bonnat a cherché l’application en peignant ses Pèlerins aux pieds de la statue de saint Pierre dam l’église de Saint-Pierre de Rome ? Je le croirais volontiers, car ce tableau offre, dans son harmonie générale, des qualités qui méritent d’être signalées. La vieille statue de bronze est bien connue des voyageurs ; ils l’ont tous vue sous son dais rouge, et ils ont pu constater que le pouce de son pied droit est usé par les baisers des fidèles. Aujourd’hui c’est un saint Pierre, autrefois c’était un Jupiter ; aux foudres païens on a substitué les clés catholiques, la tête a été ceinte d’un nimbe crucifère, et le dieu détrôné, modifié pour les circonstances, est devenu le prince des apôtres, lien est, hélas ! des dynasties divines ainsi que des dynasties humaines ; les souverains de l’empyrée ne sont pas plus inamovibles que les souverains de la terre ; Jupiter est remplacé par Jéhovah, comme lui-même remplaça Saturne, qui remplaça Uranus : faits insignifians en apparence et d’où l’on pourrait conclure cependant que le véritable maître de la création c’est l’homme, puisqu’il change à son gré ses rois et ses dieux. M. Bonnat a bien rendu