Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mères, aurait conservé une sobriété plus magistrale et plus ample. Je sais que cette cascade, que cette nuance d’un blanc savonneux donnent un plan de plus à la composition et par conséquent plus de profondeur à l’horizon ; mais cette fois, je l’avoue, j’aurais sacrifié la ligne à la couleur, et j’aurais évité cette note douteuse qui rompt l’harmonie de la tonalité. De même, à la place de M. Français, j’aurais supprimé la roche plate, d’une forme lourde, qui s’étale sans raison dans ce joli ruisseau qu’elle ne fait que déparer sans nécessité pour l’ensemble des lignes ; en un mot, j’aurais simplifié la composition, je l’aurais débarrassée des accessoires inutiles, je n’aurais point assis sous les arbres ce satyre et ce berger, et je serais arrivé, je crois, à un résultat meilleur, à produire un effet abstrait de fraîcheur et de printemps, et c’est là, je n’en doute pas, ce que l’artiste cherchait. Son tableau, qui, tel qu’il est, je le répète, est remarquable, eût donné une impression plus mystérieuse, plus profonde ; la nature est pleine de ces solitudes charmantes devant lesquelles on s’absorbe avec admiration et que la présence seule de l’homme, fût-il pâtre ou Sylvain, suffit à troubler. Les véritables habitans de ce bois sacré, c’étaient les fleurs printanières, les branches flexibles et l’invisible nymphe qui pleure en chantant au loin dans la grotte, et dont les larmes coulent en reflétant l’ombre mobile des feuilles caressées par la brise. Il est bon d’être peintre, de savoir à fond son métier, d’en connaître tous les secrets ; mais il faut quelquefois être poète, cela ne peut pas nuire. M. Corot seul suffirait à le prouver ; il ne copie jamais la nature, il y songe et la reproduit telle qu’il la voit dans ses rêveries : rêveries gracieuses qui conviendraient au pays des péris et des fées. Un sentiment délicat lui tient lieu de science, et quoique ses tableaux soient d’un art civilisé souvent jusqu’à l’excès, j’y trouve une naïveté qui me séduit et m’arrête. Je ne puis regarder une de ses toiles sans penser aux contes de Perrault, et je crois apercevoir entre ces deux maîtres une affinité singulière. M. Corot seul eût été capable de peindre, pour Peau-d’Ane, la robe couleur du temps, et Perrault seul aussi pourrait inventer des princesses dignes de marcher sur le bord des lacs que nous montre M. Corot. La simplicité des moyens qu’il emploie est extraordinaire ; les scènes les plus vulgaires sont celles qu’il préfère, et en les interprétant il sait nous émouvoir : un ciel, un étang brumeux, un arbre lui suffisent. Il les voit à travers je ne sais quel prisme lumineux dont il a le secret et dont il sait faire partager le charme au spectateur. Sa couleur est-elle juste ? son dessin est-il exact et pur ? Je ne pense même pas à m’en inquiéter, tant cette poésie me frappe et me captive.

Le Souvenir de Mortefontaine, de M. Corot, est une petite toile pleine de clarté, qui possède et répand autour d’elle une sorte de