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peine à reconnaître une lionne du Sahara. Le style cependant n’est incompatible ni avec la vérité, ni avec une certaine grâce qui est nécessaire à l’art aussi bien qu’à la nature. M. Carpeaux le prouve par son buste de la Palombella. On peut lui reprocher, je le sais, d’avoir poncé les traits du visage, principalement les yeux, jusqu’à les rendre un peu trop indécis ; cela cependant donne à la tête une tristesse et une rêverie qui ne sont point sans charme ; ce défaut, car c’en est un, serait moins apparent, si les rinceaux du piédouche, sculptés d’un ciseau froid et sec, ne faisaient ressortir encore la mollesse de l’exécution générale. Les détails de costume, la chemisette, la collerette, la coiffure, sont traités avec une adresse remarquable, malgré une certaine afféterie évidemment préconçue et rendue intentionnellement. Ce buste serait le seul que nous aurions à citer si M. de Rougé n’avait exposé celui de Champollion, qui est destiné à l’une des salles du musée égyptien. Cette justice tardive était bien due à l’homme de génie qui a déchiré d’un seul coup le voile sous lequel dormaient vingt siècles des annales du monde, et qui a fait pour les sciences historiques ce que Cuvier a fait pour les sciences naturelles. Champollion, épuisé par ses travaux et par ses voyages, est mort en 1832 ; n’est-il pas douloureux de penser qu’il aura fallu attendre tant d’années avant de voir son image placée dans ce musée que, pour ainsi dire, il a créé tout seul, puisque sans lui, sans sa prodigieuse découverte, les objets qu’il renferme eussent été lettre close pour le monde entier ?

Si nous avons cru devoir ne pas approuver complètement la manière dont M. Crauk a conçu sa Victoire d’après des réminiscences de l’antique, que dirons-nous de M. Falguière, qui expose un vainqueur au combat de coqs ? Tous les élémens dont se compose cette statue, qui n’est point sans mérite, paraissent avoir été empruntés à des œuvres célèbres. L’enfant court avec rapidité, il s’enlève bien, touche à peine la terre, et se retourne par un mouvement de tête fort naturel ; mais lorsque M. Falguière pensait à ce sujet, il me semble qu’il a dû voir en rêve l’Atalante du jardin des Tuileries, j’entends celle de Coustou, et le Mercure de Jean de Bologne, qui est aux Offices de Florence. En effet, l’attitude générale, le geste particulier de la tête appartiennent à la première, la position de la jambe et du pied appartient au second. « N’allez pas, dit encore Émeric David, composer une figure en réunissant des membres de différentes statues. Cet art serait commode, s’il pouvait réussir ; il trompe quelquefois le demi-connaisseur, mais la froideur de l’ouvrage en trahit le secret. » Là est toute la critique que nous voulions adresser à M. Falguière, car ce qui dans sa statue n’est pas une réminiscence trop directe est bien fait et mérite d’être loué, ne serait-ce que le visage souriant, modelé d’une main légère et déjà