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apprend la grandeur, la renaissance leur apprend l’élégance, le XVIIIe siècle leur apprend la grâce. Comment se fait-il qu’en combinant ces trois élémens primordiaux ils ne soient pas encore parvenus à créer la statuaire moderne, et pourquoi ne peuvent-ils faire une statue drapée à l’antique sans que nous y sentions, non pas l’étude, mais l’imitation servile des œuvres léguées aux temps présens par les âges anciens? La Victoire couronnant le drapeau français, de M. Crauk, n’est certes point une statue médiocre. C’est une allégorie bien choisie et très appropriée à l’art statuaire. La vieille immortelle, toujours jeune, était faite pour tenter un talent qui déjà et plusieurs fois a donné ses preuves; mais en quoi diffère-t-elle d’une victoire antique? Elle dépose une couronne sur l’aigle d’un drapeau français, je le vois, mais c’est donc l’accessoire seul qui constitue l’allégorie? N’y a-t-il pas dans l’attitude générale, dans la physionomie, dans l’aspect particulier, n’y a-t-il pas à introduire quelque chose de spécial et d’essentiel qui accuse nettement notre temps et empêche toute confusion ? Elle tient une couronne à la main, donc c’est une victoire; si elle portait une trompette, ce serait une renommée; si elle montrait une balance, ce serait une justice, et ses ailes lui serviraient à atteindre plus rapidement les coupables. C’est là ce que je reproche principalement à la façon dont les artistes comprennent et rendent l’allégorie; un détail seul la constitue : supprimez ce détail, elle disparaît. Ce défaut, je le sais, est inhérent aux sujets indéterminés, qui ont été interprétés avant nous, et qui nous sont, pour ainsi dire, imposés par une tradition dont nous n’osons sortir, parce que nous trouvons plus facile de la suivre humblement que de créer par nous-mêmes et à nouveau des œuvres qu’elle a déjà consacrées. Il y a là cependant un malentendu qu’il serait bon d’expliquer. Étudier les maîtres, ce n’est point les copier, ce n’est point les reproduire. Ceux que nous admirons le plus, Phidias, Michel-Ange, je ne recule pas devant les plus grands noms, ne feraient point aujourd’hui ce qu’ils ont fait jadis. Ils apporteraient dans leurs travaux le même génie, la même perfection, mais en les modifiant selon la différence de la civilisation, des religions et des connaissances humaines augmentées par la science successive de chaque siècle. Ce qu’il faut leur demander, ce qui est leur véritable et trop souvent leur impénétrable secret, c’est la façon dont ils voyaient la nature, dont ils combinaient les lignes, dont ils pondéraient les proportions, dont ils donnaient aux physionomies l’expression juste; mais ce qu’il ne faut point vouloir apprendre d’eux, c’est la composition allégorique, c’est l’attribut, c’est le symbole. Tout cela a changé, il suffit d’ouvrir les yeux pour le voir, et ce qui, dans cet ordre d’idées, convenait aux anciens ne peut plus convenir aux modernes par la seule raison que nous