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avec Emeric David : « Que de statues ne se soutiennent que parce qu’elles sont en pierre ! » La plupart d’entre elles sont, à proprement parler, des statuettes bonnes à mettre sur des étagères et qu’on croirait agrandies par des procédés mécaniques. Il y a entre le sujet et les dimensions une corrélation nécessaire dont les artistes ne semblent plus se douter ; c’est là une des lois de l’art cependant, et je ne crois pas qu’on puisse impunément l’enfreindre. S’il est rationnel de donner les proportions de la nature à des dieux comme Apollon, à des héros comme David, il est puéril de garder les apparences épiques pour des sujets de fantaisie empruntés aux jeux de l’enfance, aux fables de La Fontaine, aux accidens vulgaires de la vie habituelle. Ainsi, pour prendre un exemple, je trouve que le Chef gaulois de M. Fremiet est dans de justes et d’excellentes proportions, tandis que le Colin-Maillard, statue en bronze par M. Leharivel-Durocher, a été conçu et exécuté dans des dimensions outrées que le sujet ne comporte pas. J’en dirai autant du Combat de taureaux de M. Clesinger, vaste composition d’un aspect aplati, où les lignes s’enchevêtrent les unes dans les autres, sans grandeur, sans distinction, et qui de loin ressemble à la pièce principale d’un gigantesque surtout de table. Ce sont des erreurs que ces essais de prétendue grande sculpture, et le plus souvent ils ne servent qu’à constater la faiblesse de l’artiste. La violence dans la médiocrité, ce qui est presque toujours le fait de M. Clesinger, n’est pas une force, et la grenouille a beau se gonfler jusqu’à devenir grosse comme un bœuf, ce n’est jamais qu’une grenouille. C’est le propre des époques de décadence que ce boursouflement des œuvres d’art : la dimension tient lieu de talent ; on croit faire grand parce que l’on fait énorme, et l’on ne se rend pas compte que les proportions exagérées exagèrent les défauts. Pline raconte que Néron fit faire de lui un portrait haut de cent vingt pieds, qui fut détruit dans l’incendie des jardins de Maïus, et avant d’en parler il dit : Et nostrœ œtatis insaniam in pictura. non omittam. — Si les artistes n’y veillent sérieusement, s’ils n’abandonnent la voie où ils s’engagent depuis quelques années, ils arriveront vite à cette insania, à cette folie que l’historien signale en la blâmant.

Je ne puis dire à quel point je suis attristé de voir les sculpteurs se complaire à ce que j’appellerai les petits sujets et dédaigner l’allégorie, qui semble cependant avoir été inventée pour leur fournir d’inépuisables ressources. Les diverses religions ne sont point avares de motifs mythologiques, et depuis les trois Grâces jusqu’aux sept péchés capitaux, ils n’ont qu’à choisir : la substance ne leur fait point défaut. Les exemples que présente la tradition de leur art sont fertiles en enseignemens ; ils n’ont qu’à étudier les maîtres pour savoir comment il faut interpréter la nature. L’antiquité leur