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princes en leur enjoignant de cesser de s’intriguer en des affaires qui, étant uniquement du ressort de la couronne de Pologne, ne regardent ni la tsarine ni encore moins eux en particulier. » Catherine reconnut la justesse de ce langage; elle désavoua les deux princes et abandonna la candidature de Menschikof. Si Maurice de Saxe n’était pas encore assuré de son trône, il était débarrassé du plus redoutable de ses rivaux.

Ce résultat était dû aux deux femmes dont nous avons parlé tout à l’heure, Anna Ivanovna et Elisabeth Petrovna. Toutes les deux, sans soupçonner leur rivalité, avaient plaidé la cause de Maurice auprès de Catherine. Anna, tout heureuse de sa victoire, reprenait le chemin de la Courlande, et déjà elle se voyait souveraine pour la seconde fois. Ingratitude de la diplomatie! Lefort, à ce moment-là même, insistait auprès du roi de Pologne pour que Maurice vînt à Saint-Pétersbourg achever la conquête, si bien commencée, du cœur d’Elisabeth. Il demandait un portrait de Maurice, afin de le montrer à l’occasion. Le roi n’avait qu’un grand portrait du comte de Saxe dans son cabinet de Dresde; il aurait préféré une miniature, et de là le retard de l’envoi. Il se décida pourtant : le tableau fut expédié de Dresde à Varsovie et de Varsovie à Saint-Pétersbourg, où Lefort le reçut avec l’ordre de le placer chez lui sans affectation; mais c’était surtout l’original que Lefort réclame avec instance pendant les mois d’août et de septembre. « Qu’il vienne donc, écrit-il au comte de Manteuffel. Il faut qu’il fasse belle figure, grande table, fêtes, cadeaux, car les femelles aiment la joie, et le parti russien demande cela. » Étrange tableau de cette cour moscovite tracé par un ambassadeur! Manteuffel a parfaitement compris. « Dites-moi à l’oreille combien il faudrait au comte de Saxe pour gagner des amis en vos cantons. » Ce grave dialogue continuant par l’entremise des courriers, Lefort répond aussitôt : « La chose n’est pas facile à déterminer; il s’agit de savoir si c’est pour Nan (Anna) ou Lise (Elisabeth); l’un diffère de l’autre... Moi, si j’avais une telle affaire à mener, je tiendrais ici une vingtaine de mille écus pour les sacrifier à propos, sans pourtant faire le généreux sans fondement. » Le comte de Flemming se mêle à la conversation, et les paroles qu’il adresse à Lefort prouvent combien le roi tenait à ce mariage. «Vous pouvez bien croire, et vous pouvez même l’insinuer là où vous êtes, que, si l’affaire peut se conclure, on en serait bien aise chez nous. A l’égard de ce que vous dites, qu’il serait bon de gagner les matadors à la cour de Pétersbourg, je crois aussi que notre cour y donnera volontiers les mains; mais il faudra que vous spécifiiez ceux que vous comptez de ce nombre, et la somme que vous croyez qui devrait y être employée pour qu’on puisse s’y préparer. » On com-