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tesse Pociey, qui poussa le comte son mari à se jeter si ardemment, comme on l’a vu, dans cette audacieuse échauffourée. C’est du moins ce que nous apprend cette mauvaise langue de Flemming, toujours d’après les lettres des archives de Dresde. « Le comte Pociey, dit-il, s’est engagé dans cette affaire, comme Adam dans le péché, séduit par sa femme. »

Cependant le grand jour approchait. Le 26 juin, malgré une protestation en latin au nom du roi de Pologne, ou plutôt malgré un décret prohibitif (inhibitorium) qui défendait à la diète de s’assembler, les députés, au nombre de trente-deux, tinrent séance à Mitau. M. de Brakel, un des plus ardens soutiens de la candidature de Maurice, fut chargé de faire le rapport, et la réunion fut ajournée au surlendemain. Le soir, la princesse Anna Ivanovna offrait un festin à la noblesse courlandaise. Maurice y assistait, et on y fêta d’avance le vainqueur par des libations septentrionales. Enfin le 28 l’assemblée écoute le rapport de son délégué : vainement le représentant du roi de Pologne renouvelle son veto, vainement l’organe du duc Ferdinand proteste contre l’élection qui va se faire, à moins que les suffrages ne se portent sur le landgrave George de Hesse-Cassel; l’assemblée maintient son droit et procède au vote. Maurice de Saxe est élu duc de Courlande et de Sémigalle à l’unanimité des suffrages. Le maréchal du pays, Eberhard Philippe de Brüggen, qui d’abord avait refusé de prendre part à cet acte hardi, finit par donner sa signature. On leva aussitôt la séance, et tous les députés allèrent ensemble offrir leurs félicitations au prince Maurice. Trois jours après, le prince Maurice adressait à l’un de ses plus intimes amis, le comte de Friesen, la curieuse lettre que voici :


« Mitau, le 1er de juillet.

«Je vous aime trop, mon cher comte, pour ne vous pas faire part de ce qui vient de m’arriver : j’ai été élu duc-successeur de Courlande, et l’on m’a déféré le gouvernement jusqu’à ce que le duc Ferdinand puisse être investi par le roi[1]. J’ai eu des concurrens tout plein, mais les Courlandais ont été inébranlables; ni les promesses ni les menaces n’ont rien pu sur eux, et j’ai été élu unanimement. Vous verrez par les copies ci-jointes la situation où je me trouve et les droits des Courlandais. Faites-moi la grâce de m’écrire si le factum est bien raisonné et s’il est de votre goût. Je suis encore novice en ces sortes d’ouvrages, et votre suffrage me flatterait beaucoup. Ce n’est pas que je l’exige, mais je m’adresse à vous parce que je sais que vous me direz naturellement ce que vous en pensez. Mais il faut auparavant que je vous mette un peu au fait de ce qui s’est passé.

  1. Y a-t-il bien investi par le roi? Ne serait-ce pas plutôt averti? L’orthographe du comte de Saxe est si barbare, si singulièrement barbare, qu’elle rend le texte parfois inintelligible. M. de Weber, dans les explications qu’il joint à ce grimoire, a commis, on le verra, plus d’un contre-sens.