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vers Babylone[1], et si, avec la grâce de Dieu, nous pouvons vaincre le sultan d’Égypte, nous prendrons aisément Jérusalem, et de plus Babylone, Alexandrie et d’autres royaumes. » Avec la disposition des esprits en Occident à l’époque de la première croisade, aller en Égypte d’abord pour revenir prendre Jérusalem, c’était une stratégie lente et habile que le siècle ne pouvait pas comprendre. Un peu plus tard et à mesure que les croisés établis en Orient connurent mieux le pays et la subordination naturelle des diverses contrées de l’Orient les unes envers les autres, ils se persuadèrent que, sans la possession de l’Égypte, la possession de Jérusalem ne serait jamais que précaire. En 1168, Amaury Ier, roi de Jérusalem, profite des dissensions de l’Égypte pour l’attaquer ; mais il échoue devant Damiette en 1169. Dans la quatrième croisade, celle qui fonda l’empire latin (1204), le pape Innocent III avait décidé que les croisés, laissant de côté la Syrie, iraient aborder en Égypte. Les Vénitiens, plus écoutés par les croisés, leur persuadèrent de s’emparer de Constantinople. Ce fut une grande altération de l’esprit des croisades, et ce ne fut pas un avantage pour l’Orient chrétien. Sanuto blâme énergiquement la préférence que les croisés de 1204 donnèrent à la conquête de Constantinople sur la conquête de l’Égypte. La conquête de l’Égypte donnait l’Orient aux chrétiens ; la conquête de Constantinople ne donnait aux Latins qu’une possession impossible à conserver, ayant à combattre à la fois les Sarrasins et les Grecs. En 1218, le roi titulaire de Jérusalem, Jean de Brienne, dirige contre l’Égypte une croisade qu’avait d’abord commandée André II, roi de Hongrie. Il s’empare même de Damiette ; mais en 1221 les croisés sont forcés de rendre Damiette et d’évacuer l’Égypte. La croisade de saint Louis en 1248 ne fut qu’une reprise en grand de la croisade de 1218 et l’accomplissement des pensées anciennes.

Il était naturel que les croisés, une fois qu’ils eurent compris l’importance de l’Égypte dans la question des croisades, tâchassent de conquérir ce pays. Il n’y avait pas pour les hommes du moyen âge d’autre manière de décider les questions que de les trancher par le fer. La guerre était le seul expédient qu’ils connussent. Les hommes même qui au XIVe siècle commençaient, comme Marino Sanuto, à avoir d’autres idées que celles de la guerre, ne pouvaient pas encore renoncer à la pensée favorite du XIIIe siècle, la conquête de l’Égypte. Aussi le Secreta fidelium Crucis de Sanuto se partage en deux parties, un plan belliqueux et un plan politique, un projet de conquête de l’Égypte et un projet de blocus continental.

  1. C’est le Caire que les croisés désignaient sous ce nom.