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de tous les hommes, et celui dont les puissances voisines devaient le plus se défier, soupçonna le premier les desseins du tsar et ceux du roi de Suède en faveur de Stanislas. » Nous voyons en effet le roi de Pologne, au mois de décembre 1718, répondre sur un ton vraiment inattendu à ces plaintes de la noblesse courlandaise qu’il avait excitées lui-même une année auparavant. Singulière péripétie dans cette comédie politique où chacun avait si bien appris son rôle ! Il est convenu que le roi de Pologne accueillera les réclamations des seigneurs courlandais et leur donnera toute liberté d’élire un duc. Est-ce là le langage qu’il leur tient? Nullement; il leur parle des combinaisons que des influences étrangères auraient pu leur suggérer, et leur déclare, au nom des intérêts dont la garde lui appartient, que tout projet de ce genre est mis à néant, que tout ce qui a été résolu dans ce sens est considéré comme non résolu, que tout ce qui a été écrit est considéré comme non écrit; das belossene fur nicht beschlossen, das geschriebene fur mcht geschrieben, geachtet. Flemming avait bien deviné, comme nous l’apprend Voltaire; Frédéric-Auguste savait tout.

Nouveau coup de théâtre. C’était pour faciliter l’exécution des plans du baron de Goertz que Pierre le Grand consentait au mariage de sa nièce Anna Ivanovna avec le neveu du roi de Prusse; mais Charles XII est tué sous les murs de Frederickshall le 30 novembre 1718, et voilà tous les projets de son ministre emportés avec lui. Depuis longtemps en butte à la haine de l’aristocratie suédoise, le baron de Goertz est arrêté par ordre du sénat immédiatement après la mort du roi; il est jugé, condamné à mort, et on lui tranche la tête au pied de la potence de la ville. Ces tragiques événemens ont leur contre-coup jusque sur le théâtre obscur de la Courlande. L’alliance projetée se trouvant rompue, ni la Russie ni la Suède n’ont intérêt à soutenir la candidature du margrave de Brandebourg, et le roi de Prusse, abandonné de ceux qui l’ont poussé malgré lui à mettre son neveu sur les rangs, est contraint de rédiger un mémoire pour se justifier des reproches d’ingérence que lui adresse le gouvernement de Pologne[1].

Malgré le secret de la diplomatie, ces projets de mariage avaient transpiré en Allemagne et les ambitions s’éveillaient de toutes parts. Pendant quelques années, les prétendans à la main d’Anna Ivanovna vont être aussi nombreux que les prétendans de Pénélope. C’est d’abord le comte Flemming, ministre absolu du roi de Pologne, personnage aussi effronté qu’intelligent, celui dont Maurice de Saxe nous a peint en termes si vifs l’ambition sans frein et la cupidité insatiable; il avait fait annuler en 1715 son mariage avec la

  1. Voyez Curland unter den Herzögen, t. Ier, p. 282.