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de direction. Il était temps que cette république patricienne, avec les privilèges qui la morcelaient, fît place à un gouvernement mieux armé pour la défense commune ; sinon, elle allait se disperser en lambeaux, entamée de jour en jour par des voisins redoutables, les Moscovites d’un côté, de l’autre les Scandinaves. Déjà en 1525 la Prusse s’était constituée sous un chef héréditaire, dégageant ainsi ses intérêts propres des intérêts de la communauté teutonique, compromis à la fois au dedans et au dehors. L’heure suprême était venue pour cette grande association chevaleresque, si forte et si glorieuse au moyen âge. Il y eut un moment, vers le milieu du XVIe siècle, où tous ces petits seigneurs, évêques et chevaliers, s’empressèrent de vendre au plus offrant, celui-ci son château, celui-là son abbaye. C’étaient les princes russes, danois, suédois, qui faisaient l’enchère. On vit alors un homme plus fier maintenir au moins le drapeau des ancêtres, le planter au centre du pays, rallier ses compagnons, éveiller en eux le sentiment de la patrie et fonder comme la Prusse une principauté tutélaire. C’était le dernier grand-maître de l’ordre teutonique, Gotthard de Kettler. La Courlande, la Sémigalle, augmentées de certaines portions de la Livonie, de l’Esthonie, de la Lithuanie, formèrent l’état nouveau, et le duc Gotthard, obligé de se chercher un appui, obtint pour son œuvre patriotique le protectorat de la Pologne. Après de longues négociations, ratifiées par la chancellerie de l’empire d’Allemagne, la consécration solennelle du pacte eut lieu à Mi tau le 5 mars 1562. Ainsi fut établi le duché de Courlande et de Sémigalle, issu des mêmes circonstances d’où est sortie la Prusse, mais destiné à un avenir bien différent. Le duc Gotthard a eu du moins l’honneur de retarder de deux siècles la chute de son pays et l’invasion de la Russie dans le domaine des chevaliers teutoniques.

À l’époque où nous sommes parvenus dans la vie de Maurice de Saxe, les descendans de Gotthard de Kettler étaient sur le point de s’éteindre. Le duc Frédéric-Guillaume était mort en 1711, laissant une jeune veuve sans enfans, Anna Ivanovna, nièce du tsar, qui devait occuper par la suite le trône de Pierre le Grand. La couronne de Courlande, d’après la loi de l’état, fut déférée à l’oncle de Frédéric-Guillaume, au vieux duc Ferdinand, dernier représentant des Kettler. C’était un vieillard chagrin et faible, si faible que le sceptre ducal lui eût été un fardeau trop lourd, alors même que la situation précaire de sa maison et les convoitises des prétendans n’eussent pas entretenu dans le pays de continuelles agitations. À qui appartiendrait la Courlande après la mort de Ferdinand ? La Russie, la Prusse, la Pologne, avaient les yeux fixés sur cette proie. La Suède avec Charles XII ne pouvait être indifférente à une question si grave. Le Danemark était prêt à entrer dans une coalition, selon la mar-