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tera sur le diplomate. Maurice vient d’arriver le 10 décembre 1725 à Varsovie, où se trouve le roi son père. Il a eu, comme l’exigeaient les convenances, une entrevue avec le ministre son ennemi, et à la suite de cet entretien Flemming écrit à un confident : « Le comte de Saxe m’a paru très rebuté de la France; il sent bien qu’à la longue il n’y saurait tenir, l’ayant pris sur un ton de dépense dont il ne saurait rabattre et qui ne saurait aller loin. » Maurice en effet, à ce moment-là même, entame des négociations pour vendre son régiment, soit à un neveu de Flemming, soit au comte Rutowski, son demi-frère, comme l’appellent nos documens (halbbruder), c’est-à-dire bâtard, comme lui, du roi de Pologne; mais ni Flemming ni le roi de Pologne ne se prêtent à cette combinaison. D’autre part, le comte de Hoym, représentant du roi à Paris et consulté sans doute sur le projet de Maurice, répond en ces termes : « Mon avis est que le comte de Saxe serait fort mal conseillé, s’il quittait ici un établissement certain, agréable, et qui lui convient à tous égards. » Qu’est-ce donc? que se passe-t-il? Pourquoi Flemming, tout en décriant la conduite de Maurice à Paris, veut-il le retenir sur un théâtre où son oisiveté tumultueuse et ses dépenses insensées ne lui permettront pas d’aller loin? Pourquoi Maurice veut-il quitter, non pas seulement Paris, mais ce régiment qu’il aime, qu’il a formé, dont il a fait un modèle et un type, ce régiment illustre qui est déjà son titre auprès des tacticiens et le gage de sa gloire future? C’est que l’heure désirée, l’heure des grandes aventures, vient de sonner enfin pour l’homme qui écrira un jour Mes Rêveries en tête d’un traité stratégique; c’est qu’il y a une couronne à prendre dans le duché de Courlande, et que Maurice de Saxe, pour la saisir, est décidé à culbuter ses rivaux, dût-il rencontrer parmi eux son éternel adversaire, le maréchal comte de Flemming.


II.

Le duché de Courlande avait été constitué au milieu du XVIe siècle en principauté héréditaire sous le protectorat du royaume de Pologne. On sait quels services ont été rendus par les chevaliers de l’ordre teutonique dans les contrées sauvages qui séparaient l’Allemagne de la Moscovie. Dans une partie de la Prusse actuelle, en Livonie, en Esthonie, en Courlande, en Lithuanie, des rivages sud-est de la Baltique jusqu’aux frontières indécises de la barbarie moscovite, ces templiers du nord ont porté le christianisme et la civilisation. Or après des luttes qui remplissent tout le moyen âge les chevaliers étaient menacés de voir tomber en des mains étrangères le fruit de tant de labeurs héroïques. Espèce de féodalité sacerdotale et guerrière, ce qui manquait à l’ordre teutonique, c’était l’unité