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voie d’une législation claire, précise, qui réglait toutes les situations, à une législation confuse, vieillie, qui les troublait toutes, en un mot du Code Napoléon aux royales constitutions sardes de 1770, Constitution politique, législation civile, tout fut troublé à la fois. L’esprit de chicane a largement péché dans la confusion générale qui a suivi 1815. Le changement du mode des héritages, le passage de la communauté au régime dotal, du partage égal au partage inégal, furent la source intarissable de procès éternisés par l’ancien code de procédure. Les procès qui ont jailli de cette source ont entraîné sur les villes de tribunaux le revenu le plus net des campagnes, appauvri la population rurale, enrichi la bourgeoisie, presque tout entière composé d’hommes de loi, et, ce qui est plus désastreux encore, ce débordement de procès qui a couvert le pays pendant toute la durée du régime absolu a usé la conscience du paysan et presque effacé la notion naturelle de la justice et du droit. L’ancienne magistrature savoyarde, mollement bercée par le flot grossissant, se mettait peu en peine d’ouvrir un écoulement en expédiant les affaires et en abrégeant les lenteurs calculées de la procédure. L’absolutisme trouvait d’ailleurs son compte dans la multiplicité des affaires litigieuses, qui donnaient de l’occupation à la bourgeoisie des villes, seule classe qui pût lui inspirer des craintes sérieuses. A l’avènement du régime libre, l’un des premiers soins du gouvernement fut de stimuler l’activité de la justice pour la prompte expédition des procès qui encombraient les tribunaux de province et la cour d’appel de Chambéry; mais, malgré les circulaires pressantes des divers ministres de la justice, malgré l’activité de la cour d’appel qui avait remplacé l’ancien sénat de Savoie, l’annexion a encore trouvé un arriéré considérable qui a été rapidement, trop rapidement peut-être, expédié par la nouvelle magistrature.

L’outillage rudimentaire dont se sert l’agriculture est peu à peu remplacé par des modèles nouveaux. Le progrès de la mécanique agricole a été singulièrement entravé par l’oubli du principe de la division du travail. Le cultivateur savoyard, par besoin ou par une certaine aptitude naturelle, veut être son propre constructeur d’instrumens; il ne les achète du forgeron et du charron que lorsqu’il ne peut absolument les fabriquer lui-même. C’est dans la région des montagnes que l’on remarque principalement cette aptitude. Chaque maison devient pendant l’hiver un petit atelier de construction et de réparation dont le bruit discordant se mêle à celui de la nombreuse famille. L’araire primitif que nous avons décrit et même la roue grossière du chariot de montagne sortent de cette fabrique patriarcale. Vers la fin de l’hiver, le spectacle de cette activité domestique sous les hangars et sous les avant-toits donne une haute idée de l’esprit industrieux de la population montagnarde. On cher-