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On hésite à se prononcer sur les causes qui produisent le crétinisme. Sont-ce les causes que la commission sarde appelle permanentes, comme l’eau, l’air et le sol, ou celles qu’elle appelle accidentelles, comme le genre de vie des populations alpestres, la mauvaise alimentation, le manque de soins hygiéniques personnels et domestiques? La plupart de ceux qui l’ont étudié se sont égarés dans la préoccupation d’une cause unique, ont vanté un spécifique également unique, et pensé qu’en créant au crétinisme un grand déversoir on viderait le repaire du fléau. Cette pensée de fonder un grand établissement de crétins s’est fait jour au moment de l’annexion et a été rapidement transformée en décret impérial; mais la science a soufflé sur ce rêve philanthropique et décrété que le crétinisme est incurable. Le gouvernement sarde, lui aussi, qui avait, en 1853, fondé dans la vallée d’Aoste un hospice pour le traitement des crétins, arriva sur ce point aux mêmes conclusions affligeantes. Après trois ans d’expériences, il lui fallut fermer l’hospice : pas un seul sujet n’avait été guéri ni même amélioré.

Puisque à chercher une cause unique du crétinisme on court le danger de faire fausse route, mieux vaut s’en prendre à toutes celles que l’on a jusqu’ici supposées entrer dans la production du fléau, à l’air, à l’eau, au sol, à la lumière. L’invisible meurtrier des populations alpestres ne se laisse pas saisir en flagrant délit sur un seul point. Il s’appelle légion, il est multiple dans ses causes, multiple dans ses terribles effets sur l’organisation humaine, et, comme le démon du possédé, il ne sera réduit et chassé, s’il peut l’être, que par une série méthodique d’efforts soutenus, de réformes et d’améliorations dans les vallées où il exerce ses ravages. C’est dans son repaire qu’il faut l’attaquer; c’est le foyer naturel d’infection qu’il faut assainir en saignant les marais, en drainant le sol, en abattant les bouquets d’arbres qui bloquent les villages, en donnant de l’air et de la lumière aux habitations. C’est dans cette voie que l’administration sarde a dirigé ses efforts depuis 1848, et l’annexion n’a fait que donner au mouvement ainsi commencé une impulsion plus énergique. On ne songe plus à concentrer les crétins dans un hospice placé aux portes de Chambéry, et l’attention se porte principalement sur les vallées qui les produisent. On reconnaît déjà sur l’intensité du crétinisme les effets des mesures prises depuis la publication du rapport de la commission sarde; le nombre de ces cas diminue, et les sujets atteints ne présentent plus le même aspect hideux, ni le même bouleversement des lignes du visage. Un des symptômes les plus heureux, c’est que la naissance d’un enfant dont le développement anormal trahit l’influence crétineuse n’est plus reçue dans la famille avec la même résignation fataliste. Autrefois,