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voie se versa abondamment dans les vides laissés par tant d’existences emportées sur les champs de bataille de la république et de l’empire. Elle y était bien accueillie dans les industries qui n’exigent pas un long apprentissage et dans les postes de confiance, où la précédait sa réputation de probité et de fidélité. La période de paix de 1815 à 1848 a été son beau temps : l’essaim de la Savoie a butiné largement sur le puissant épanouissement de la prospérité française. L’année 1848 ramena de nouveau l’émigration à ses montagnes natales, mais cette fois sans argent, pauvre et déguenillée. Aujourd’hui elle franchit les mers, se déverse sur l’Algérie, sur les républiques de la Plata, sur la Suisse et sur le vaste champ encore inexploré de l’Italie nouvelle; mais Paris et la France sont toujours l’objectif, le centre d’attraction de la grande masse émigrante. L’émigration a rendu accessible au grand nombre la propriété foncière et transformé le prolétariat fécond des montagnes en une population de petits propriétaires. Dans les cantons où l’on émigré, l’esprit, ouvert aux idées de progrès et d’instruction, offre un point d’appui solide pour exciter l’émulation et pousser les agriculteurs dans la voie des améliorations.

Un élément important du travail agricole, c’est la force corporelle des habitans. La force principale appliquée en Savoie n’est ni celle des animaux ni celle des machines, qui sont éliminées d’une grande partie de la superficie du sol par les pentes rapides et par la constitution parcellaire de la propriété : c’est le bras de l’homme qui est le premier instrument, la pièce maîtresse du mouvement agricole. La constitution physique de la population savoisienne est donc en étroite relation avec le travail accompli, et les vices, les maladies endémiques qui l’affectent, laissent des traces visibles sur son économie rurale et domestique, comme la mauvaise charrue en laisse sur le champ labouré. La vigueur de la constitution physique est aussi en raison directe du degré d’élévation dans la région des Alpes : elle s’assainit et la taille elle-même s’élève à mesure qu’on monte vers la chaîne centrale. La taille des conscrits, mesurée pendant cinquante ans, a donné dans la partie supérieure de la vallée de la Maurienne une moyenne de 6 centimètres de plus que dans la partie inférieure. La vallée de l’Isère présente néanmoins une exception curieuse : au lieu de s’élever avec l’altitude, la taille humaine se ramasse plutôt à partir de Moûtiers jusqu’au Petit-Saint-Bernard, et la population y trahit, dans les traits du visage, par son teint foncé, ses cheveux noirs et par son extrême vivacité d’esprit, une origine différente de celle des autres populations de la Savoie. Les traditions historiques viennent ici au secours de la physiologie. C’est en effet dans cette partie supérieure de l’Isère que Pline et