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mélèze. Un baril de vacherins est le cadeau traditionnel qu’un Savoyard fait à son ami au dehors.

L’élève du bétail a pris un immense développement dans les montagnes. Autrefois on engraissait le veau pour la boucherie. Chambéry, Annecy, Genève et les villes suisses du Léman consommaient la jeune génération du bétail née sur les hauteurs, et l’habitant du chalet descendait dans la région inférieure pour renouveler son troupeau. Aujourd’hui le système est changé : les montagnes de la Savoie sont devenues le plus grand atelier de reproduction qui approvisionne d’élèves le fond de la vallée, les départemens limitrophes et jusqu’aux départemens du midi. Depuis le concours régional de Chambéry, qui a fait ressortir les qualités particulières des races de la Savoie, les éleveurs du midi sont arrivés sur nos marchés et nos foires pour renouveler leurs étables. La génisse descendue de l’âpre climat des hauteurs dans la plaine y gagne près d’une année en précocité ; son poil se lisse et ses formes s’arrondissent. Les races de Savoie, bonnes laitières seulement dans leurs montagnes, acquièrent d’autres qualités en descendant vers les pays plus plantureux : le surcroît de ration qu’elles y reçoivent est rapidement transformé en graisse, en force musculaire et en développement de la taille. Aussi l’annexion, en ouvrant le débouché français, a-t-elle fait hausser de plus d’un tiers la valeur du bétail.

Si la vache et son veau sont l’arbre moteur de toute l’économie rurale, la jument et son poulain en sont un rouage important. L’élève de la race chevaline habite principalement les vallées de la Haute-Savoie, le Chablais et le Faucigny. On compte d’ordinaire une jument pour trois vaches dans les exploitations bien dirigées. Avec l’élève, elle donne son travail, mais un travail modéré, qui ne dépense jamais toute sa force et lui sert d’exercice de santé. Comme la vache, la jument fait son ascension à l’alpe et erre sur les mêmes pâturages pendant qu’elle allaite. La troupe folâtre des élèves bondit autour des mères, à côté du troupeau de vaches, et poursuit sur la pelouse verte ses réjouissans ébats : excitée par l’air pur, l’espace et la lumière, elle se précipite à fond de train ou tourbillonne sur elle-même en un carrousel confus d’où chacun, au premier bruit insolite, s’échappe pour courir à sa nourrice. Le groupe pétulant se compose presque exclusivement de l’étrange hybride produit par le croisement de l’âne et de la jument. Élevé dans d’excellentes conditions de salubrité, il acquiert une vigueur et une élasticité peu communes ; impuissant à se reproduire lui-même, il gagne en force musculaire ce que la nature lui refuse en puissance de génération. Le mulet des montagnes est la bête de somme par excellence, sobre, infatigable, jarret d’acier, pied sûr qui pose sans broncher au bord