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siste plus que tout autre aux rudesses du climat de Savoie. C’est le persan qui constitue le gros des vignes les plus rapprochées du Petit-Saint-Bernard et du Mont-Cenis. Il pousse ses bataillons verdoyans jusqu’à la limite de la zone de la vigne, où les autres plants faiblissent et battent en retraite. Le célèbre vignoble de Princens, au-dessus de Saint-Jean-de-Maurienne, l’un des plus avancés vers la chaîne centrale, est presque exclusivement planté de persan. Le moût qu’il donne pèse le même degré au glucomètre que celui du pineau de Bourgogne, et la saveur et le bouquet des deux vins, arrivés à un certain âge, ont une analogie qui les fait prendre l’un pour l’autre par les plus délicats dégustateurs.

Les qualités de ces deux excellens cépages compensent bien des imperfections de culture, et doivent les faire préférer aux plants étrangers. Ils ont fait leurs preuves, comme on dit; ils ont triomphé du climat, de l’inexpérience et de la routine; ils ont donné des produits généreux, et à vouloir les remplacer par d’autres qui ne sont pas encore rompus au sol et au climat, il y aurait imprudence, fausse direction et ingratitude. Dans le règne végétal comme dans celui de l’histoire, les changemens radicaux sont rarement des progrès véritables. C’est moins à des cépages nouveaux qu’aux deux méthodes nouvelles que nous avons décrites que les vignerons de la Savoie doivent accorder leurs préférences. Ces méthodes sollicitent également l’attention et frappent à la porte du vignoble par deux côtés à la fois, par le territoire de Saint-Julien et de Bonneville et par celui de Montmélian et de Chambéry. La culture perfectionnée de la Suisse, peut-être un peu trop minutieuse pour les habitudes du vigneron savoyard, gagne néanmoins du terrain dans la Haute-Savoie et pousse devant elle les routines locales. La culture française fait des progrès rapides dans la Basse-Savoie, où l’on peut admirer ses résultats féconds. Les frontières de la vieille culture routinière sont partout entamées : on abandonne peu à peu le provignage, qui épuise le cep, pour la plantation de pied franc, qui le renouvelle; la foule égarée des plants commence à rentrer dans l’alignement; les défonçages et les autres opérations recommandées pénètrent dans les milieux les plus résistans et transforment l’aspect des vignobles.

Telle qu’elle est aujourd’hui, la propriété viticole est déjà celle qui rapporte le plus gros revenu et dont le prix de vente est le plus élevé. Dans les estimations cadastrales sardes, elle est portée à 5,000 fr. l’hectare, et le revenu à 6 pour 100 ; mais ce revenu de la vigne, plus élevé que celui de toute autre propriété foncière, n’est obtenu qu’au détriment du travail et de la main-d’œuvre. Il y a moins de dix ans, la journée de l’ouvrier agricole ne dépassait pas