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menter sa part d’un cinquième et même d’un quart quand il fournit l’engrais. Toutes les objections élevées en France dans la presse agricole contre ce système d’exploitation reçoivent une force singulière de la condition généralement abaissée et misérable du métayer de la Savoie. Ignorant, lent à sortir de la routine, sans fonds de roulement, disposé par une vieille habitude de servilisme à considérer son propriétaire comme son seigneur et son maître, sauf à ruser avec lui et à le tromper, il n’entre point dans l’association du métayage sur le pied d’égalité avec le propriétaire, et il accepte des conditions toutes faites qu’il n’est pas en son pouvoir de modifier à son avantage. La propriété se fait naturellement la grosse part, car les offres de travail abondent, et les fermes sont disputées dans les districts les plus riches de la région inférieure. C’est la partie de la classe rurale la plus pauvre, la moins instruite, qui se jette dans le métayage; celle qui possède quelque instruction ou quelque capital arrondit sa propriété ou émigré. On ne saurait toutefois attribuer au principe du métayage l’abaissement de la condition de la population rurale. Le principe qui associe le travail et la propriété dans une œuvre commune, intéressant l’un et l’autre à la production, ne saurait être mauvais. Le métayage est l’association transportée dans le domaine agricole; mais il est vicié par des élémens traditionnels et locaux, par les exigences de la propriété, par l’ignorance dans laquelle le peuple des campagnes a été maintenu sous les régimes absolus qui ont précédé 1848, et par la longue domination des classes supérieures, qui pèsent toujours d’un grand poids sur la situation économique et sociale du pays.

Ce n’est pas sur les vignes exploitées par le métayage que la viticulture a fait le plus de progrès, mais sur celles où le propriétaire intervient et dirige les travaux. Trois méthodes de culture sont en présence et se partagent très inégalement la zone du vignoble. La première, celle qui occupe encore les plus grandes surfaces, c’est la vieille méthode savoisienne, d’après laquelle les ceps sont jetés en foule, au hasard, sans alignement ni symétrie, souvent sans échalas, rampant sur la terre en souches écrasées, et sont renouvelés environ tous les quinze ans par le procédé antique du provignage. La seconde est la méthode suisse, qui a pénétré en Savoie par le territoire de Saint-Julien et la vallée de l’Arve. C’est l’opposé de la méthode savoisienne : plantation symétrique en quinconce au lieu du provignage désordonné, distance fixe de 80 centimètres, défonçages profonds, binages et ratissages fréquens, propreté admirable, soin du détail, symétrie parfaite, tels sont les traits de cette culture, dans laquelle se révèle l’industrieuse activité du peuple suisse, et qui offre l’image de son état social et politique, où l’ordre