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midi jusqu’au pin de la Laponie, des champs encore au-dessus de la forêt, enfin tout au sommet les prairies et les pâturages, parsemés de chalets, où domine le régime pastoral.

Cette superposition de zones est le trait saillant de la culture en Savoie. On en compte jusqu’à quatre dans beaucoup de vallées, la vigne, les céréales d’hiver, les céréales du printemps et les pâturages. On va suivre la population répandue dans ces régions et essayer de fixer les traits que présentent son économie rurale, sa constitution physique et sa physionomie morale. C’est un spectacle qui ne manque pas d’intérêt que celui de ce petit peuple suspendu à ces pentes, d’une inclinaison moyenne de 60 degrés, qui tombent du haut du Mont-Blanc, du Petit-Saint-Bernard et du Mont-Cenis jusqu’au niveau des plaines françaises du Rhône et de la Saône, où le sol lui-même est mouvant et l’écoulement des eaux partout torrentiel, où le voisinage des hauts sommets imprime à la température des variations brusques qui compromettent en une nuit l’espoir d’une année. Ce petit peuple déploie, dans la mise en valeur d’un sol difficile qui ne lui paie pas toujours le prix de ses sueurs, des qualités obscures et ignorées du monde agricole, mais qui forment néanmoins un élément indispensable du progrès et de la prospérité de l’agriculture. Sa patience, sa persévérance dans ses usages et ses méthodes, son amour du pays natal, qui l’y retient ou l’y ramène quand il s’en est éloigné, sont un utile contre-poids à opposer au mouvement d’impatience qui trouble l’équilibre de la population de plusieurs départemens, et y fait monter le prix de la main-d’œuvre dans une proportion inquiétante pour la propriété. Le spectacle de sa vie agricole n’aurait que ce genre d’intérêt qu’elle mériterait encore d’être étudiée.


I.

En tirant une ligne idéale coupant tous les points du sol à 900 mètres au-dessus du niveau de la mer, on a au-dessous de cette ligne la région de la vigne et du blé. Elle embrasse de vastes aires agricoles, les plaines, les vallées et leurs premiers versans, toutes les parties les plus privilégiées de la Savoie. Pour avoir une idée un peu précise des espaces où la culture des céréales et de la vigne peut se développer à l’aise, il faut parcourir la Savoie de la pointe de Saint-Gingolph, sur la frontière du Valais, à Montmélian sur l’Isère, et de là remonter cette rivière jusqu’à Aime en Tarentaise et l’Arc jusqu’à Saint-Michel en Maurienne. Sur tout ce parcours de plus de 300 kilomètres, que l’on fait sans s’élever au-dessus de la vigne et du blé, on assiste à une exhibition permanente