Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas la soulever encore, s’il avait pu avoir la confiance que le jour où elle y serait inévitablement discutée, il n’y rencontrerait pas l’hostilité personnelle du roi. N’ayant pu à cet égard obtenir l’assurance qu’il demandait, il crut devoir, au mois de février 1801, résigner ses fonctions de premier ministre, et le témoignage de M. Canning ne laisse aucun doute sur les raisons qui l’y déterminèrent. « Il est sorti, dit-il, du pouvoir, non pas tant à cause de la résistance qu’il a rencontrée de la part du roi sur la question catholique que de la façon dont cette résistance s’est produite. S’il l’eût tolérée, sa position dans le cabinet comme premier ministre eût été bien différente de celle qu’il avait eue jusqu’alors. »

C’est en effet le principe essentiel et le grand avantage du régime parlementaire que le pouvoir y est exercé au nom du souverain par des ministres responsables, agissant à leurs risques et périls dans la plénitude du mandat dont ils sont dépositaires, sortis pour la plupart de la majorité du parlement, soutenus par elle, représentant ses opinions, qui sont aussi celles de la majorité du pays, et y conformant leur politique. Le chef de l’état, couvert par eux, plane au-dessus de tous les partis, et, pour conserver intacte la majesté du trône et le respect qui lui est dû, il doit s’abstenir de prendre part à leurs différends ; son rôle est d’exercer un contrôle supérieur et de veiller à ce que la politique de ses ministres reste en harmonie avec les sentimens et les intérêts du pays. Si elle lui paraît s’écarter de ces conditions, il a le droit de changer le cabinet, et, en cas de dissentiment à cet égard avec le parlement, de faire un appel au pays ; mais, dès que ce dernier a prononcé, son devoir est de se conformer à sa décision, et il est tenu également de ne jamais faire intervenir son influence personnelle dans les luttes parlementaires ou électorales, parce qu’en engageant ainsi sa responsabilité il exposerait sa personne à des attaques compromettantes pour la dignité et la sécurité de la couronne. Pitt ne pouvait consentir à la moindre déviation de ces principes fondamentaux. Non-seulement elle eût été contraire à la constitution, mais, en constatant un désaccord entre lui et le roi, elle l’eût affaibli aussi bien dans le cabinet que dans le parlement, encouragé les dissidences, altéré cette influence supérieure qu’il avait exercée pendant dix-sept ans, et sans laquelle il ne pouvait gouverner utilement l’état.

Du reste, cette influence n’était déjà plus la même, et une autre des conditions essentielles du gouvernement représentatif ne se trouvait plus qu’imparfaitement remplie. Dépositaire de l’autorité, un cabinet ne saurait avoir de force pour l’exercer, si ses membres ne sont point unis étroitement dans les mêmes vues et les mêmes