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aux Français toutes leurs positions, et au bout de quelques mois ces derniers n’y possédaient plus que Gènes. Au sud, le roi de Naples, avec le concours de Nelson et de la flotte anglaise, reprit possession de ses états, et en Allemagne le général Jourdan, battu par l’archiduc Charles, dut repasser le Rhin.

A ce moment même, le général Bonaparte, revenu d’Egypte à la nouvelle des événemens qui s’étaient passés en Italie et des désordres du gouvernement directorial, exécutait le coup d’état du 18 brumaire. Devenu consul et désireux de donner à l’Europe un témoignage de ses sentimens pacifiques, il écrivit directement à George III pour lui proposer la paix. Lord Grenville répondit que le nouveau pouvoir établi en France ne présentait pas des garanties suffisantes de modération et de durée pour qu’il fût possible de négocier avec lui. M. de Talleyrand ayant néanmoins insisté pour que des conférences fussent ouvertes, le ministre anglais déclina d’une façon définitive cette proposition, et déclara qu’il n’y aurait lieu de traiter de la paix qu’autant qu’elle devrait être générale et que les conditions en seraient débattues dans un congrès où seraient représentées toutes les parties belligérantes. Le refus du gouvernement anglais était donc péremptoire, et lors de la réunion du parlement, au mois de janvier 1800, il provoqua les plus véhémentes attaques de la part des chefs de l’opposition. Pitt, dans un discours aussi passionné qu’éloquent, exposa les motifs qui avaient déterminé la conduite du cabinet. Après avoir fait un résumé de la politique révolutionnaire et agressive de la France depuis 1793, il rappela les diverses tentatives aussi infructueuses que sincères faites par le gouvernement anglais pour arriver à conclure la paix.


« Si nous apprenions, dit-il, que soudainement un homme dont nous n’aurions jamais entendu parler paraît et se trouve investi du pouvoir de gouverner, d’imposer, de faire la guerre et la paix, que dis-je? de disposer de la vie des hommes ainsi que de leur fortune ; si en même temps nous voyions les mêmes moyens de révolution mis en pratique, les mêmes principes jacobins maintenus dans toute leur force, une armée formidable recrutée par le même système, le tout avec cette unique différence que cet homme est sans rivaux, sans collègues pour partager sa puissance, sans contrôle pour modérer sa volonté, nous pourrions dans ce cas attendre que les faits et l’expérience nous apprissent si nous devons nous confier à sa merci, et même nous relâcher insensiblement des moyens de garantie et de défense dont nous nous sommes armés. Mais il n’en est pas ainsi : cet homme, nous le connaissons ; il est l’enfant et le champion du jacobinisme; l’Europe le connaît, lui et les satellites qui l’entourent, et nous ne pouvions raisonnablement discuter la réponse que nous devions faire à ses ouvertures sans d’abord prendre en considération sa conduite antérieure et son caractère personnel. »