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reste. Le rentier devait donc y contribuer pour sa part comme tous les autres membres de la société, et ces derniers seraient fondés à se considérer comme injustement grevés, si la taxe en les frappant ne portait également sur une classe aussi considérable et aussi intéressée à la grandeur et à la prospérité nationale que celle des créanciers de l’état. Passant ensuite au reproche d’inégalité adressé à la taxe proposée, le ministre fit observer que tous les impôts étaient entachés du même vice, et que la cause devait en être attribuée à la nature même de la société, à la variété des catégories dont elle est composée et à la diversité des propriétés qui s’y trouvent, que vouloir changer un pareil état de choses serait tenter une entreprise pleine de périls et d’un succès impossible, qu’en effet se plaindre des inégalités existantes, c’était attaquer la distribution des richesses, blâmer la constitution sociale, et qu’il fallait bien se garder de suivre dans cette funeste voie les novateurs d’un pays voisin. La taxe sur le revenu ne créerait d’ailleurs aucune inégalité nouvelle, chacun de ceux qu’elle frapperait serait relativement aux autres après l’avoir payée dans la situation où il était avant, et le résultat pour tous serait, après avoir donné le dixième de leur revenu, d’avoir un dixième de moins à dépenser ou à économiser. Quant à l’exemption complète réclamée en faveur du commerce et de l’industrie, Pitt demanda pourquoi ces deux branches de la richesse nationale ne seraient pas soumises aux mêmes lois que les autres lorsqu’elles recevaient la même protection, participaient aux mêmes avantages, et il termina en protestant de la façon la plus sévère contre la distinction établie par un membre de l’opposition, sir William Smith, entre les classes utiles et les classes inutiles. « L’honorable membre, dit-il, a rangé dans cette dernière catégorie les propriétaires du sol, ces hommes qui forment le lien par lequel sont unies entre elles les diverses fractions de la société, sur qui en grande partie repose le soin d’administrer la justice et de maintenir l’ordre dans le pays, ces hommes qui donnent du travail et du pain aux pauvres, à qui sont dus tous les progrès de l’agriculture, auxquels le commerce lui-même est redevable de sa prospérité! Ce sont eux qui ont été stigmatisés du surnom de frelons inutiles, pour lesquels la société n’est tenue d’avoir aucun égard! Théorie aussi inconsidérée que futile, et résultat de spéculations politiques sans portée ni réalisation possible ! »

On proposa aussi d’appliquer l’échelle progressive de l’impôt aux revenus excédant 200 livres. Pour les revenus inférieurs à ce chiffre, le système de la progression avait l’avantage de mieux ménager les intérêts des classes laborieuses; mais l’étendre au-delà de cette limite, c’eût été ouvrir la porte à des attaques incessantes contre des