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pourraient entraver la libre circulation des grains, de relever les boulangers de l’obligation de faire le pain avec de la farine de première qualité, de les autoriser à y mélanger du maïs, des pommes de terre et des grains de qualité inférieure, d’accorder des primes pour l’importation du blé et de toutes matières alimentaires, et d’en prohiber l’exportation. Les efforts de l’administration et de la législature rencontrèrent partout un concours empressé. Dans les ménages les plus riches, on s’interdit l’usage de la pâtisserie, et on ne consomma que du pain mélangé; la compagnie des Indes vendit au-dessous de leur valeur les cargaisons de riz qu’elle avait en magasin ou qui lui arrivèrent, et la Cité de Londres encouragea par des primes la vente à prix réduit de diverses espèces de poissons. Grâce à l’emploi de ces moyens et aussi au bon sens public, le progrès du mal fut arrêté, et le prix du blé ramené dans des limites modérées.

Le parlement vota ensuite le budget de 1796 et autorisa le gouvernement, pour subvenir aux charges extraordinaires résultant des circonstances, à contracter deux emprunts qui s’élevèrent ensemble à 25,500,000 liv. sterl. Le service en fut assuré au moyen de nouveaux droits sur le tabac, le sucre, le sel, les chevaux d’agrément, et aussi par la création d’un impôt sur les successions mobilières, dont furent exemptés les veuves et enfans, et qui, pour les autres héritiers, variait de 2 à 6 pour 100, suivant le degré de parenté. Le chancelier de l’échiquier avait proposé d’y soumettre les biens immeubles comme les biens meubles; mais, devant la vive opposition des propriétaires fonciers, nombreux et influons dans le parlement, il dut renoncer à la partie de son projet relative aux successions immobilières.

Dans cette circonstance, il y eut de la part du parlement une violation d’autant plus inexcusable du principe de justice distributive en matière d’impôts, qu’en exemptant une nature de propriété des charges dont il grevait l’autre, il ne fut déterminé que par des motifs d’intérêt privé. Sans doute Pitt aurait pu empêcher la consécration d’une inégalité aussi choquante en ne soumettant point à la sanction de la couronne la partie de son projet qui avait été adoptée; mais il aurait fallu se priver d’un revenu de 150,000 liv. sterl., bien nécessaire alors, et les considérations de nécessité l’emportèrent sur celles d’équité. En principe d’ailleurs, le nouvel impôt était bon. Il ne portait ni sur le travail, ni sur les économies du contribuable, mais frappait modérément un capital qui venait souvent d’une façon inespérée accroître son bien-être. L’immunité accordée à la propriété foncière était seule regrettable, et, bien qu’elle ait été fréquemment l’objet des réclamations les plus vives au sein ou au dehors de la législature, que chaque fois on ait fait observer