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sini faisait l’admiration du public. On était en l’année 1813. Cette délicieuse production d’un génie fécond, je l’ai entendue aussi dans ma jeunesse au théâtre de Vicence. Meyerbeer fut ébloui et charmé de cette musique, qui était le début de l’auteur du Barbier de Séville et de vingt chefs-d’œuvre qu’on allait voir naître dans l’espace de vingt ans. Le compositeur allemand se lia alors avec Rossini, joyeux enfant qui n’avait que quelques années de plus que Meyerbeer. Cette rencontre d’un génie aimable fut un événement heureux dans la vie de Meyerbeer. Affermi dans ses nouvelles convictions, l’élève de l’abbé Vogler fit représenter à Padoue, en 1818, Romilda e Costanza, opéra semi-seria en trois actes, je crois, et dont le principal rôle fut chanté par la Pisaroni. L’ouvrage fut bien accueilli par le public de cette ville savante, qui voyait dans le jeune tedesco presque un disciple du père Vallotti, parce que l’abbé Vogler avait pris des conseils du maître padouan. Qu’il nous suffise de rappeler qu’en 1819 il écrivit un opéra, Semiramide riconosciuta, qui fut représenté à Turin, et l’année d’après Emma di Resburgo pour le théâtre de Venise. Cet opéra eut un beau succès; on le joua dans toutes les villes de l’Italie, et il fut traduit en allemand. Enfin le succès d’Emma valut à Meyerbeer l’honneur d’écrire un opéra pour le théâtre de la Scala, à Milan. Cet opéra, Margherita d’Anjou, y fut représenté en 1822, et, malgré la nationalité du compositeur, le public fit un accueil chaleureux à cet ouvrage, qui a été traduit en allemand. On le joua aussi avec non moins de succès sur les théâtres de la France et de la Belgique. L’activité de Meyerbeer ne se fatiguait pas, car il donna en 1823 un opéra, l’Esule di Granata dont les principaux rôles furent remplis par Lablache et par la Pisaroni. Déjà le nom de Meyerbeer retentissait dans toute l’Italie; l’envie était éveillée; elle essaya de faire expier à l’auteur d’Emma et de Marguerite les applaudissemens qui l’avaient accueilli. L’Esule fut appris avec tant de lenteur qu’il ne fut joué qu’aux derniers jours du carnaval. La même influence qui avait retardé l’apparition de l’ouvrage en prépara la chute. Le premier acte échoua, et le second paraissait destiné au même sort, quand un duo chanté par Lablache et la Pisaroni enleva tout l’auditoire. Aux représentations suivantes, le triomphe fut complet. Après le succès de Margherita d’Anjou, qui fut jouée à Venise, à Gênes, et traduit en allemand, Meyerbeer s’éloigna pour quelque temps de l’Italie pour aller embrasser son ami Weber. On sait que Weber n’était pas satisfait de la carrière que suivait alors l’auteur futur des Huguenots. Dans une lettre que Weber écrivit à leur ami commun, Gottfried-Weber, savant théoricien, on fit ce qui suit : « Vendredi dernier, j’ai eu la grande joie de voir Meyerbeer tout un jour chez moi : les oreilles doivent t’avoir tinté! C’était vraiment un jour fortuné, une réminiscence de cet excellent temps de Manheim... Nous ne nous sommes séparés que tard dans la nuit. Meyerbeer va à Trieste pour mettre en scène son Crociato. Il reviendra avant un an à Berlin, où il écrira peut-être un opéra allemand. Dieu le veuille! J’ai fait maint appel à sa conscience. »