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pensent au fond comme les hommes de l’opposition financière, que depuis quelques années la France a trop dépensé, qu’elle a été trop optimiste dans ses prévisions, et que si par bonheur on arrive à l’équilibre que M. Vuitry nous a fait entrevoir pour l’année prochaine, il faudra défendre énergiquement cet équilibre et se faire un point d’honneur d’élever enfin d’une façon permanente le revenu au-dessus de la dépense.

C’est M. Jules Favre qui, à propos du budget, a traité la question étrangère. Resserré par les bornes étroites que la distribution des travaux du corps législatif pose à la discussion des questions étrangères, contraint par la rareté des occasions, qui ne permet point de soumettre chaque question à la controverse particulière qu’elle comporte, M. Jules Favre a embrassé en un seul discours tout l’ensemble de la politique extérieure. L’éminent orateur a apporté dans cette polémique son ordinaire inflexibilité de principes, des vues élevées, des sentimens généreux, et cette exquise élégance de langage qui lui est naturelle. Il a eu en outre le mérite de provoquer de la part de M. Rouher une réplique pleine de verve. À ne parler que du talent, la session a été bonne évidemment pour M. le ministre d’état. Chacun de ses discours a été un progrès, et il nous semble être arrivé, dans la discussion du budget, à manier avec une parfaite aisance et avec un entrain vigoureux toutes les questions. Nous n’avons point, en reconnaissant le mérite de M. Rouher, la pensée d’adresser une flatterie à un personnage puissant ; mais c’est au profit du gouvernement représentatif que nous prenons acte des succès oratoires de ce ministre : nous voudrions voir dans le parti du gouvernement augmenter le nombre des orateurs distingués. En dépit des contradictions du présent, nous saluons dans tout homme de talent un partisan naturel et inévitable de la liberté et des institutions libres.

Avons-nous besoin d’ajouter que nous ne partageons point l’optimisme avec lequel M. Rouher considère la situation de notre politique étrangère ? Pour ne parler que de la question la plus actuelle, celle du Danemark, il nous est impossible de voir ce que la France a gagné à ne point empêcher par une attitude nette et ferme l’invasion du Danemark et une lamentable effusion de sang. Certes il ne s’agissait pas, pour nous, de nous compromettre dans une guerre générale. À qui fera-t-on croire que devant une revendication du traité de 1852, nettement exprimée par la France et l’Angleterre, et une proposition de conférence pour résoudre les points en litige, la Prusse et l’Autriche eussent passé outre, et consommé contre le Danemark leur inique agression ? Nous avons préféré nous abstenir, et par notre abstention nous avons laissé se former de nouveau, et se fortifier déjà par des gages efficaces, l’alliance des trois cours du Nord, que nous avions rompue en Crimée au prix de tant de sang et d’or. e. forcade.