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sera le contre-coup sur la France elle-même, au point de vue des conditions du crédit, du mouvement extraordinaire de spéculation qui s’est produit cet hiver à Londres ? On attribue cet élan de spéculation à la prodigieuse prospérité commerciale dont l’Angleterre jouit depuis quelques années. Les Anglais sont sujets de temps en temps à ces accès d’engouement où le jeu se mêle aux affaires sérieuses, et qu’eux-mêmes ils appellent des manies. Depuis la railway-mania de 1846, les Anglais s’étaient fait remarquer en affaires par une sagesse exemplaire. Ils n’avaient pris aucune part à cette fièvre qui s’empara de la France en 1852, et qui nous fit entreprendre des chemins de fer dans tous les pays de l’Europe, depuis l’Espagne jusqu’à la Russie. Nos crédits mobiliers continentaux leur paraissaient de dangereuses extravagances ; nos crédits fonciers les laissaient indifférens. En fait de créations nouvelles, ils ne s’étaient guère adonnés qu’aux joint-stock banks, établissemens de crédit destinés à faire concurrence aux banquiers au moyen de capitaux fournis par l’association. Les joint-stock banks, à l’origine, furent vues de mauvais œil par les banquiers : comme elles offraient de recevoir du public des dépôts portant intérêt et remboursables par chèques, les circonspects prédisaient qu’elles feraient des sommes qu’elles prendraient au public un usage téméraire, qu’elles seraient forcées de fournir à la spéculation des excitations artificielles, qu’elles provoqueraient des crises commerciales par lesquelles elles seraient emportées. Pendant longtemps, les banquiers refusèrent d’admettre les joint-stocks au Clearing House, où se liquident chaque jour, comme on sait, par voie de compensation, de la façon la plus expéditive, la plus commode, la plus économique, les chèques et les dettes commerciales échues. Les joint-stocks cependant finirent par réussir avec éclat ; elles reçurent du public des sommes énormes, forcèrent l’entrée du Clearing House, et servirent à leurs actionnaires d’excellens dividendes. Le succès des joint-stocks, uni à la grande abondance de capitaux amenés sur le marché anglais par les bénéfices commerciaux, et complété par les exemples du continent, a déterminé évidemment la manie qui règne aujourd’hui à Londres. Les joint-stock banks avaient été l’application de l’association des capitaux à la profession de la banque ; aujourd’hui on applique l’association à toutes les professions industrielles et commerciales. On établit ainsi des sociétés de commerce qui sont, à vrai dire, des joint-stock merchants. Des propriétaires de grandes usines, de puissans entrepreneurs, mettent leurs établissemens en actions. Ce sont surtout les sociétés de crédit, faisant à la fois l’office de merchants, de banquiers, de crédits mobiliers, qui foisonnent. Londres, depuis quelques mois, possède une douzaine de crédits mobiliers, plusieurs crédits fonciers, des banques nouvelles, en sus de celles qui existaient déjà, pour tous les pays du monde, pour des régions que bien des gens sur le continent ne supposeraient point habitables et habitées. La grande maison Jones Loyd, qui s’était montrée la plus sévère à l’origine