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il n’en faut pas médire. Ce n’est pas une petite chose que d’avoir mis Dieu et le monde de complicité dans un pareil contrat. L’amour-propre, l’instinct de la propriété, le besoin d’être aimé, sont autant de fils qui vous attirent, vous pressent, vous enlacent. On les brise une fois, deux fois ; mais, comme la trame ténue de l’araignée, les mailles de ce filet invisible se renouvellent toujours… On se lasse d’une lutte qui n’a pas de terme, et où l’on se trouve seul contre tous et contre soi-même.

— Baron, votre esprit me fait peur… Allons ! à demain donc le contrat ! Après-demain tout sera dit ; la loi sociale et religieuse aura uni deux êtres qui ne sont pas faits pour s’aimer. À propos, avez-vous expliqué à la future mes conditions ?

— Oui.

— Eh bien ?

— Que vouliez-vous qu’elle fît ? Elle a accepté, et vous pourrez partir le soir même de vos noces. Après la bénédiction nuptiale, on se rend au château de Saverne, où vous donnez un grand dîner et un bal. Pendant le tumulte de la fête, vous vous éloignerez sans que personne s’en aperçoive, et le lendemain la comtesse aura un prétexte tout prêt pour expliquer votre départ.

— C’est la comtesse elle-même qui se chargera de ce soin ?

— Elle-même, mon cher ; confessez au moins que c’est une femme charmante, et qui a pour vous des attentions…

— Je l’aimerais pour ce trait-là, si j’étais capable d’aimer ma femme…

La conversation dura quelque temps sur ce ton ; mais cet entrain factice tomba comme par enchantement aussitôt que j’eus quitté le baron. Le contrat fut signé le lendemain, et je dînai le soir fort piteusement chez mon futur beau-père entre Mme  Chantoux et Mlle  Camille. La nuit, je ne pus fermer l’œil, j’avais la fièvre, et le matin, lorsque George entra dans ma chambre pour m’éveiller, il me trouva debout. — As-tu vu ma fiancée ? lui dis-je.

— Vous savez bien qu’hier, dans la soirée, je lui portai de votre part un coffret de bois de rose que m’a fait remettre M. le baron, et qui contenait un magnifique collier de perles fines.

— De quel collier parles-tu ? De quelles perles fines ?

Je n’avais aucune idée de ce coffret et de ce collier. Le baron faisait des galanteries en mon nom. Je le donnai au diable. George ne comprenait rien à ma mauvaise humeur.

— Eh bien ! comment trouves-tu Mlle  Chantoux ? Là, ton opinion franche ?

George me regarda d’un air soupçonneux ; mais comme ma physionomie ne laissait rien voir de ce qui se passait en moi : — Ma