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montré des droits et de la dignité de la nation, l’habitude qu’il avait prise d’en appeler à Constantinople dans une foule de cas qui auraient pu et auraient dû être résolus à Belgrade, la tolérance excessive qu’il avait témoignée pour les empiétemens des Turcs, et qui dérivait autant de la faiblesse de son caractère que de son désir d’obtenir l’hérédité princière pour sa famille, tout cela les avait amenés peu à peu à se considérer comme les maîtres absolus en Serbie. Le divan sentit donc se réveiller ses anciennes défiances, et il songea un instant à faire avancer une armée pour rétablir l’ordre légal en Serbie. A la réflexion, il se ravisa, et se contenta d’adresser des remontrances à Belgrade. M. Philippe Cristitch y répondit par une note envoyée au chargé d’affaires serbe à Constantinople, lequel en donna communication à Aali-Pacha, et les choses en restèrent là provisoirement.

C’est ainsi que le prince Michel, par une initiative hardie, conquit d’un seul coup une popularité que son père possédait à peine au lendemain de ses victoires sur les Turcs, et qui a fait de lui le représentant naturel de toute la race serbe, tant au dehors qu’au dedans de la principauté. La suite de son règne ne démentit point ces commencemens.

Le prince Michel exerce en Serbie une autorité qui appartient à peu de chefs d’états dans les pays libres. Il n’a devant lui ni prétendans redoutables ni partis hostiles. Le prince Karageorgevitch vit à l’écart à Pesth, et n’a point d’influence dans le pays. L’ancienne aristocratie des knèzes a disparu avec Voutchitch et Petroniévitch, ses derniers représentans; toutes les influences et toutes les capacités font partie du gouvernement ou de l’administration; le peuple est dévoué au prince, parce qu’il a foi dans son patriotisme, et lui obéit en toute occasion comme au premier serviteur de la loi. C’est là le fait dominant de la situation en Serbie, celui qui met le mieux en relief le caractère et les mœurs serbes. Tout fonctionnaire public, tout agent du pouvoir, est tenu pour inviolable; la loi est partout obéie sans difficulté, pourvu qu’elle ait été acceptée par ceux qui doivent s’y soumettre. Le peuple est docile, mais raisonneur, « Entendre, c’est obéir, » disait le Grec du Bas-Empire. Pour le Serbe, quand il a entendu, il veut comprendre. Ce n’est pas assez que la loi ait été votée par les skouptchinas, sanctionnée par le prince, promulguée par les autorités des districts, il faut encore que chaque individu, l’examinant à part soi, l’ait en quelque sorte approuvée dans son for intérieur. « Ah! monsieur, me disait mon conducteur au départ de Krouchévatz, vous ne sauriez vous figurer quelles gens sont ceux d’ici! Ils demandent des explications sur tout. L’an passé, vous savez, le gouvernement a décrété une taxe extraordinaire de 2 ducats par tête pour l’achat d’armes. N’a-t-il