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au ministère en 1783, il trouva l’Angleterre épuisée par une longue et désastreuse guerre, et dix-sept ans après, quand il en sortit, il la laissa, malgré les charges d’une autre guerre, plus riche, plus prospère et plus puissante qu’elle n’avait jamais été. Sans aucun doute, ses grandes réformes administratives, l’ordre rétabli par lui dans les finances, le respect scrupuleux des engagemens de l’état, dont il fit un des principes essentiels du gouvernement de l’Angleterre, contribuèrent à produire ce résultat : il faut ajouter cependant que ni ses combinaisons ni ses opérations financières n’eussent eu le même succès, si la sanction du parlement ne leur eût pas assuré le concours du pays, et que la source des emprunts eût été bientôt tarie, si la fidélité aux contrats, au lieu d’avoir la garantie de la nation tout entière, n’eût reposé que sur la loyauté du souverain. En effet, il ne saurait y avoir de bonnes finances sans bonnes institutions, et par bonnes institutions l’on entend ici celles qui, au lieu de rendre une seule autorité l’arbitre suprême des destinées d’un état, y garantissent les droits, les libertés, les intérêts privés et publics par l’organisation de pouvoirs qui s’équilibrent entre eux. Lorsqu’il dépend de la volonté unique d’un souverain de jeter le pays dans les hasards de la guerre, de lui imposer telles charges ou dépenses qu’il lui convient, la confiance fait défaut; on ne veut s’engager avec lui qu’à des conditions dont l’avantage compense les risques du contrat. La Russie et l’Autriche sont là pour attester ce que sont les finances des empires régis par le pouvoir absolu. Si au contraire les actes du gouvernement sont soumis à un contrôle sérieux et efficace, alors la sécurité s’établit, et le cours des fonds anglais, celui des fonds français avant 1848[1], témoignent de la vitalité du crédit dans les pays libres. Et ce n’est pas seulement au point de vue financier que cette opinion est vraie : un gouvernement qui est soutenu par les sympathies librement exprimées d’une nation est toujours d’autant plus fort pour agir et pour négocier. En 1783, la situation de l’Angleterre, sortie vaincue et humiliée de sa lutte avec l’Amérique, était à tous égards moins favorable que celle de la France, et cependant quelques années après, grâce à ses institutions, elle était en pleine prospérité, tandis que la France était en révolution. Plus tard encore, tandis que cette dernière suivait héroïquement, mais à regret, son chef dans les aventures où il l’entraînait, grâce encore à la force que leur donnaient ces mêmes institutions, les médiocres successeurs de M. Pitt finissaient par dicter à Vienne les conditions de la paix.

  1. L’emprunt de 150 millions 3 pour 100 contracté en 1841 l’a été au taux de 73 fr. 50 cent.; celui de 200 millions 3 pour 100 contracté en 1844 l’a été au taux de 84 fr. 15 centimes.