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tune pour les habitans. Ils comptent si bien aujourd’hui sur cette visite périodique, qu’ils se croiraient lésés, si on les en privait, et qu’ils pétitionneraient pour s’en plaindre comme d’une injustice. S’ils entendaient mieux leurs intérêts, ils comprendraient qu’il y a beaucoup plus à gagner avec la marine marchande qu’avec la marine militaire, qui peut manquer d’un moment à l’autre, et ils travailleraient de concert à faire de leur ville l’entrepôt général des marchandises de la France, de l’Espagne, de l’Italie et de l’Afrique. Et ce ne serait pas chose bien difficile, car il suffirait, si je ne me trompe, de la faire déclarer port franc.

Tant que la douane subsistera (et malgré la guerre qu’on lui fait, il est à craindre qu’elle n’en ait encore pour longtemps), les ports francs, débarrassés de toutes les formalités onéreuses et vexatoires qui partout ailleurs paralysent les affaires, seront toujours plus fréquentés que les autres. Comme les anciennes foires, ils servent de lieu de rendez-vous aux négocians de tous les pays, qui trouvent du même coup à se défaire de leurs propres marchandises et à se procurer celles dont ils ont besoin. Rien ne favorise plus que cette facilité des transactions le développement commercial, et c’est ce qui explique la prospérité des anciens ports francs du moyen âge et du petit nombre de ceux qui ont subsisté jusqu’à nos jours. En Corse, les revenus de la douane sont insignifians; si on l’y supprimait complètement, on en verrait bientôt les effets. En tout cas, c’est une expérience peu coûteuse et qui vaut la peine d’être tentée.

Il n’y a pas de département pour lequel l’état ait plus fait que pour la Corse, et il n’y en a pas qui se plaigne davantage qu’on ne fasse rien pour lui. Sans parler des sommes dépensées pour les travaux publics, on a créé il y a trente ans, à 2 kilomètres d’Ajaccio, au bout d’une magnifique promenade d’orangers et de micocouliers, une pépinière de mûriers, de cotonniers et d’autres végétaux, dont la culture serait très productive. Bien qu’on distribue gratuitement des plants à qui en demande, fort peu de propriétaires ont eu recours à cette pépinière, et les résultats obtenus jusqu’ici sont insignifians. Pourquoi donc l’état ferait-il de nouveaux sacrifices, si, faute d’initiative, les habitans ne savent pas profiter de ceux qu’il a déjà faits? Il ne faut pas perdre de vue d’ailleurs que toute dépense publique est prélevée sur l’impôt, et qu’il est peu équitable de pressurer le paysan alsacien ou normand pour que les Corses aient le droit de vivre sans rien faire.

J’ai souvent entendu des Corses éclairés exprimer ouvertement le regret que leur pays ne soit pas resté sous la domination de l’Angleterre; ils pensaient que celle-ci leur eût donné la prospérité après laquelle ils soupirent si vivement. Peut-être n’ont-ils pas tort. L’An-