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bitude leur a fait perdre la conscience de leur malpropreté, et a presque détruit chez eux l’esprit d’initiative. Jamais l’idée ne leur viendrait d’associer leurs efforts pour déblayer une route ou pour exécuter le moindre travail d’utilité générale. Dans beaucoup de villages il n’y a pas d’autre cimetière qu’une fosse commune où l’on jette pêle-mêle, sans même les mettre dans un cercueil, les cadavres qui empoisonnent l’atmosphère de leurs émanations putrides. A Ajaccio même, l’eau est insuffisante pour les soins de la propreté la plus vulgaire; je ne crois pas qu’il y existe un seul établissement de bains.

Les châtaigniers sont pour ces populations désœuvrées une véritable providence, non seulement par les fruits qu’ils produisent et qui sont la base de leur nourriture, mais encore parce que, plantés autour des villages, ils les abritent de leur épais feuillage et leur donnent de l’ombre et de la fraîcheur. Ils sont si bien considérés comme un capital, qu’on évalue la richesse des familles au nombre de châtaigniers qu’elles possèdent, et qu’il n’est pas rare de voir figurer un ou plusieurs de ces arbres dans les contrats de mariage à titre d’apport. Les oliviers sont également pour la Corse une ressource importante; mais comme on ne prend la peine ni de les greffer ni de les tailler, comme on attend, pour récolter les fruits, que la maturité les ait fait naturellement tomber, l’huile qu’on en tire est d’assez mauvaise qualité. Dans la Balagne cependant, c’est-à-dire dans la partie septentrionale de l’île, comprise entre Bastia et Calvi, la culture de l’olivier est mieux entendue, et donne lieu à un commerce d’exportation assez considérable. La production totale est évaluée à 150,000 hectolitres. Si l’on excepte Talane dans l’arrondissement de Sartène, c’est aussi la Balagne qui produit les meilleurs vins, dont quelques-uns pourraient lutter sans désavantage avec ceux d’Espagne. Malheureusement les caves manquent, et les procédés de fabrication laissent tellement à désirer, que des négocians génois trouvent leur profit à venir en Corse acheter les raisins et à fabriquer le vin chez eux plutôt que de le prendre dans le pays. On estime à 300,000 hectolitres la production annuelle. Une autre culture plus lucrative encore, mais reléguée jusqu’ici aux alentours du Cap-Corse, est celle du cédratier, qui donne un revenu de 5 à 6,000 francs par hectare. Dans les environs des villes, la culture maraîchère commence à se développer depuis quelques années, grâce à la présence d’un certain nombre de fonctionnaires continentaux qui tiennent à avoir des fruits et des légumes. C’est même un spectacle assez curieux les jours de marché que de voir les paysans du voisinage apporter leurs provisions. Ils sont ordinairement par groupes de dix ou douze à cheval, ayant tous une