Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’adresser à sa mère. Elle conjure donc Frédéric-Auguste de lui ramener le comte de Saxe ; mais pas d’imprudence, pas de paroles indiscrètes ! Maurice et sa mère doivent ignorer toujours que la comtesse de Saxe a osé porter ses plaintes aux pieds du roi. « Votre majesté, ajoute-t-elle, connaît l’esprit de la comtesse de Kœnigsmark, qui est capable de démêler les secrets les plus mystérieux ; ainsi elle peut juger dans quelle situation je suis, craignant à tout moment d’être découverte. » Elle revient plusieurs fois sur cette idée ; le roi ne saurait mener l’affaire avec trop de circonspection. Si le roi se montrait irrité contre Maurice, celui-ci se douterait bien que sa femme a élevé des plaintes, et alors elle serait perdue. Elle ajoute ces paroles touchantes : « Étant unis par un lien si fort, je souhaiterais ardemment de vivre en bonne intelligence avec lui, s’il avait seulement un peu de complaisance pour moi. Je serai toujours contente, s’il me témoigne quelque peu d’estime et ne me brusque pas à chaque instant dès que je parle à quelqu’un. Au reste, je fais serment à votre majesté que je me conduirai de telle manière que personne n’aura rien à me reprocher. » Cette lettre est du 26 août 1719 ; le 28, elle annonce au roi que Maurice l’a mandée auprès de lui ce jour-là même et lui a dit : « Je sais, madame, que vous vous plaignez de moi au monde entier. S’il vous plaît que nous nous séparions, j’y consens ; mais si vous voulez rester avec moi, je vous préviens que vous serez obligée de vous régler selon ma volonté. Votre conduite ne m’agrée en aucune façon, et je saurai bien la faire changer. Vous avez jusqu’à demain pour prendre une résolution. » Après avoir raconté cette scène inattendue, — je dis inattendue pour nous, qui ne sommes pas encore dans le secret, — après avoir montré ainsi l’accusé devenant tout à coup l’accusateur, elle invoque de nouveau la protection de Frédéric-Auguste et accuse Aurore de Kœnigsmark d’être la seule cause de ses malheurs. Aurore de Kœnigsmark, à l’entendre, est l’arbitre unique de sa destinée ; « mais plutôt que de me rendre son esclave, s’écrie-t-elle avec une irritation singulière, j’aimerais mieux me résigner au pain et à l’eau. »

Que s’était-il donc passé entre la comtesse de Saxe et la comtesse de Kœnigsmark ? La mère de Maurice avait-elle essayé en vain de réprimer les désordres de sa bru ? Avait-elle compris que tous ses efforts seraient vains, que la jeune femme, à la fois altière et dissimulée, vindicative et voluptueuse, ne renoncerait jamais à ses représailles, que l’honneur de son fils en recevrait de mortelles atteintes, que sa situation serait d’autant plus intolérable qu’il aurait moins le droit de s’en plaindre, qu’il serait ridicule s’il paraissait tout ignorer, odieux s’il prétendait sévir, et que ce mariage, tant désiré par elle comme un point d’appui pour l’avenir du comte de