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nent à se rendre compte, autrement qu’en simples spectateurs, des scènes variées que les voyages déroulent devant eux. C’est ainsi que M. Blanqui, après avoir visité la Corse en 1838, a présenté à l’Académie des Sciences morales et politiques et ensuite publié, sur l’état économique et moral de cette île, un rapport qui, pour avoir vingt-cinq ans de date, n’en a pas moins conservé tout son à-propos. Aucun autre ouvrage ne met plus en lumière le contraste de la pauvreté des habitans avec les richesses naturelles qui les entourent, ne fait mieux saisir les causes d’une pareille situation, n’en signale les remèdes avec plus d’autorité. De temps à autre aussi, quelques Corses, désireux de voir enfin leur pays sortir de l’état d’infériorité où il se trouve, font appel par la publicité à l’opinion publique et à la sollicitude du gouvernement[1] ; mais c’est surtout aux documens officiels qu’il faut avoir recours, si l’on veut être exactement renseigné. Ces documens émanent d’ordinaire, les uns des fonctionnaires locaux qui, sentant l’impuissance de leurs efforts pour sauvegarder les premiers intérêts de la société, recherchent les moyens d’écarter les obstacles qu’ils rencontrent, les autres d’agens spéciaux, forestiers, ingénieurs de marine, etc., qui, envoyés en Corse pour étudier le pays au point de vue de leur service particulier, en énumèrent les ressources et indiquent le parti qu’on pourrait en tirer. Si la bonne volonté ne manque pas aux auteurs de ces rapports, on ne saurait toujours en approuver les tendances économiques. Ils ne se contentent point, pour la plupart, de demander que l’état veille à la sécurité, ouvre des routes, assainisse les marais; ils voudraient, ceux-ci, qu’il subventionnât certaines industries, ceux-là qu’il créât des fermes-écoles, quelques-uns même qu’il doublât la garnison, pour encourager la production agricole en accroissant le nombre des consommateurs. Au milieu de tous ces projets, l’exploitation des forêts a toujours tenu le premier rang, et c’est sur les richesses présumées qu’elles renferment qu’on a le plus souvent fait reposer le plan de la régénération de la Corse. Il semble, à entendre certains optimistes, que du jour où l’état voudra bien consentir à introduire la cognée dans ces massifs séculaires, le pays tout entier va se transformer, que l’aisance va se répandre par le travail au milieu des populations reconnaissantes, que des chantiers de construction vont s’établir dans tous les ports, et que du même coup le trésor public trouvera une source inépuisable de profits dans la vente des bois de l’île, qui jusqu’ici périssaient sur pied faute d’être exploités. Je voudrais, grâce à d’an-

  1. Pour donner une idée de ces publications, on peut citer l’Opportunité et les avantages de créer à Ajaccio un arsenal maritime industriel, par M. L. Roux; brochure in-4o 1856; — la Corse et son avenir, par M. Jean de La Rocca; 1 vol. in-8o, Plon, 1857.