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rirent dans un suprême effort pour se rattacher à la vie. Le canot lui-même n’échappa que par miracle. Il n’y avait qu’un goulot de mer dans lequel il pût s’engager sans être mis en pièces par les écueils dont il était environné. Les marins n’en savaient rien, ils s’étaient abandonnés au hasard, c’est-à-dire au vent, à la mer, aux ténèbres; mais la chaloupe, guidée par une sorte d’instinct, s’avança d’elle-même dans cet étroit passage. Après avoir essuyé toute la nuit les plus rudes assauts de la tempête, elle fut recueillie par un sloop qui la conduisit dans la ville de Shields. Cependant le sort de ceux qui restaient à bord du bateau à vapeur était déplorable. Cinq minutes après qu’il avait heurté le rivage, un second choc le divisa en deux parties. La proue seule du bâtiment demeurait ferme sur le roc, et c’est naturellement vers ce débris que se réfugièrent ceux des passagers qui respiraient encore. Suspendus à cette dernière planche de salut, ils s’attendaient d’ailleurs à partager d’un instant à l’autre le sort de leurs malheureux compagnons qu’ils avaient vus balayés par les vagues.

Heureusement en une de ces îles s’élève un phare appelé, à cause de sa position à l’extérieur des côtes, Outer-Ferne, et dans ce phare veillait cette nuit-là une fille du gardien. Grâce Horsley Darling. Elle entendit, à travers les mugissemens confus de la tempête, un affreux choc, puis les cris des naufragés. Elle se leva et alla réveiller son père. « Mon père, lui dit-elle, entendez-vous ces bruits? — J’entends, répondit le vieillard, le vent qui siffle et la mer qui fait rage. — Moi, reprit-elle, j’entends des voix qui implorent du secours. » Lancer un bateau sur ces vagues orageuses semblait une entreprise folle. On était alors au point du jour; mais la faible lumière qui, à travers le brouillard, tombait à la surface de l’abîme ne servait guère qu’à mieux accuser les mouvemens sinistres de la houle et l’immensité du danger. Le brave gardien du phare était un homme d’expérience, et il hésitait. Une rame à la main, sa fille s’élança dans le bateau, qui n’avait d’ailleurs rien de commun avec les canots de sauvetage d’aujourd’hui. Le père ne pouvait plus résister; il suivit. Un vieillard et une jeune femme, quel mince équipage pour arracher aux puissantes vagues de la mer une proie déjà saisie et à moitié dévorée! Le dévouement fut plus fort que la tempête. Les regards fixés sur un point de l’horizon, ils découvrirent que des êtres vivans s’attachaient encore aux débris du naufrage. La furie du vent était toujours la même, et à chaque instant le frêle bateau semblait courir vers une perte certaine. Au moyen d’une manœuvre dangereuse et d’un effort désespéré, on atteignit enfin le roc contre lequel le navire s’était brisé. Le même sort menaçait le bateau, et il fallut toute l’adresse des deux pilotes pour l’empêcher d’être mis en