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envoyés à Somerset-House, dans la ville de Londres, où un comité se livra pendant six mois à un examen minutieux des différens projets. Le prix fut enfin obtenu par M. James Beecliing, constructeur de bateaux à Great-Yarmouth.

Aux 100 guinées qui avaient été promises, le duc de Northumberland en ajouta 100 autres pour mettre le projet à exécution. D’après les plans de M. Beeching fut ainsi construit dans ses chantiers le premier self-righting life-boat, c’est-à-dire le premier bateau de sauvetage possédant la faculté de se relever de lui-même, après avoir été culbuté par un coup de vent. Ce canot fut acheté ensuite par les commissaires du port de Ramsgate, et l’histoire de ses honorables services ranima plus d’une fois dans le cœur des Anglais la confiance un moment ébranlée par la catastrophe de Tynemouth. Dans l’espace de cinq années, de 1855 à 1860, il avait sauvé la vie de quatre-vingts personnes. Il suffira de raconter un de ses plus nobles exploits.

Le 2 février 1860, la nouvelle arriva sur les côtes de Margate qu’un brick espagnol, le Samaritano, assailli par une bourrasque de vent et de neige, avait été poussé contre les dangereux bancs de sable qui encombrent le détroit de la Manche vers l’embouchure de la Tamise. L’équipage avait essayé de se sauver dans la chaloupe; mais les rames s’étaient brisées, et la chaloupe elle-même s’était enfoncée sous le poids des vagues. Les deux bateaux de sauvetage appartenant au port de Margate furent lancés l’un après l’autre et mis successivement hors de combat par une mer indomptable. Il ne restait plus d’espérance que dans le life-boat de Ramsgate. Les services de ce dernier furent bientôt réclamés; un garde-côte arriva tout hors d’haleine, et apprit le triste résultat des premières tentatives de sauvetage. Cet insuccès ne découragea personne : c’était à qui s’élancerait dans le life-boat et y occuperait un poste d’honneur en face du danger. Il partit remorqué par un bateau à vapeur, l’Aid, qui, chauffé jour et nuit, attendait dans le port, depuis le mauvais temps, l’occasion d’être utile. Entre l’Océan et les deux embarcations, la lutte fut terrible; repoussé d’abord, soulevé, presque renversé, le bateau remorqueur (steam-tug) creusa pourtant un sillon à travers les eaux tempétueuses. La position des hommes dans le canot de sauvetage n’était pas moins critique; de grosses vagues se précipitaient sur l’équipage et gelaient en tombant, de telle sorte que les malheureux étaient trempés et glacés jusqu’aux os. Quoiqu’il ne fût guère qu’une heure de l’après-midi, le ciel était si couvert que les deux bateaux s’avançaient dans une nuit sépulcrale; le steamer n’apercevait point le life-boat, et le life-boat ne pouvait distinguer le steamer qui l’entraînait. A travers