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Il semble qu’on entende passer dans la nuit le soupir des mourans au milieu de la clameur des vagues. Les mères tremblent alors pour un fils, les jeunes filles pour un fiancé, presque tous pour un être cher et dont la vie est menacée, car quel est l’Anglais qui n’ait pas un des siens sur la mer? Après chacun de ces ouragans, un cri de désolation et d’effroi parcourt les côtes de la Grande-Bretagne. Combien de naufrages? combien d’existences perdues? Sombres questions auxquelles répondent bientôt les journaux. Les tragédies de la mer soulèvent ici un intérêt poignant dans toutes les classes de la société.

Du sein de ces catastrophes a surgi une noble institution qui n’existe absolument qu’en Angleterre, la société des life-boats. Nos voisins désignent par ce nom de life-boat un bateau spécialement construit pour sauver la vie des naufragés. L’orage et les mers les plus sinistres n’ont rien qui effraie un pareil bâtiment. Quels sont les caractères des life-boats? Comment s’est organisée l’institution qui les dirige? Quels services héroïques ont-ils rendus dans ces dernières années ? Telles sont les questions auxquelles je voudrais répondre.


I.

C’est à Exmouth que j’étudiai pour la première fois le mécanisme d’un canot de sauvetage. Cette ville, située sur les côtes du Devon, s’élève, comme le nom même l’indique, à l’embouchure de la rivière Exe, où elle se divise en deux parties distinctes, l’ancienne et la nouvelle, qui se confondent d’ailleurs dans ce que l’on pourrait appeler l’harmonie des contrastes. L’ancienne ville, assise au fond d’une vallée sablonneuse, n’était guère, il y a cent cinquante ans, qu’un simple village de pêcheurs. Cet ancien quartier se compose même aujourd’hui de ruelles étroites, de cours et d’allées obscures où demeurent les bateliers et les marins. La ville nouvelle, quoique reliée à l’ancienne par des rues d’un caractère mixte qui servent en quelque sorte de transition, s’étage vers le nord-ouest sur les flancs d’une colline opposée à la mer; elle se compose de manoirs et d’élégantes habitations groupées les unes au-dessus des autres parmi des bouquets d’arbres. Ces joyeuses villas choisissent avec une liberté tout anglaise le point de vue, souvent même le climat qui leur conviennent le mieux. Un chemin raide et caillouteux me conduisit entre deux murs blancs vers le sommet de cette colline, où je fus surpris de trouver derrière la ville un paysage d’une fraîcheur extrême. La richesse de la végétation n’annonce nullement le voisinage de la mer. Des lanes ou sentiers ombreux s’ouvrent de