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ces allégations et de ces argumentations par lesquelles la force tâche de s’assimiler au droit. Nous ne pouvons dégager de celles-ci que les traits généraux de la situation actuellement faite à la Perse. Placée entre la Russie, qui semble disposée à l’envahir lentement, les petits états turcomans qui dévastent ses frontières, et l’Angleterre, que les traités lui donnent pour protectrice, mais qui la protégera toujours dans la limite exacte de ses intérêts, on comprend qu’elle ait recherché l’appui de la France lorsqu’elle a cru pouvoir l’obtenir, c’est-à-dire lorsque Napoléon Ier, dans ses rêves ambitieux, dans sa haine passionnée contre la Grande-Bretagne, préméditait la ruine de l’empire anglo-indien. Aujourd’hui les circonstances ont changé. Sauf des catastrophes et des reviremens difficiles à prévoir, nous ne serons plus assez étroitement liés avec la Russie, nous n’aurions plus à lui offrir d’assez belles compensations pour lui imposer par notre seule influence le sacrifice de ses projets de conquête, et d’un autre côté nos bons rapports avec la Grande-Bretagne, si bien consolidés qu’ils puissent être, ne comportent guère une communauté d’action tellement étroite que nous soyons tenus d’aller guerroyer en Orient pour l’aider à maintenir debout les états dont elle essaie de faire autant d’ouvrages extérieurs appelés à protéger sa frontière indienne contre les progrès de l’invasion russe. Il résulte de là que, faute d’un intérêt direct et réel, nous n’avons pas de rôle à jouer dans les affaires persanes ; une intervention officieuse dans certaines questions qu’on pourrait appeler d’ordre privé, des conseils quand on nous en demande, un concours purement administratif aux réformes que tel ou tel sadr-azim voudrait introduire dans le régime financier ou militaire, là se borne pour le moment toute la part que nous pouvons y prendre. Si les circonstances devenaient plus graves, notre situation particulière se prêterait merveilleusement à ce que nous fussions choisis comme médiateurs par des puissances moins désintéressées que nous ; mais nous n’avons rien à prétendre au-delà.

Cette position, quelque peu subalterne, a au moins le mérite d’être simple. Celle de l’Angleterre, infiniment plus importante, est aussi beaucoup plus compliquée. Un moment peut venir où elle aurait à compter très sérieusement avec le bon vouloir de la Russie : supposons que celle-ci prenne ce moment pour régler à son profit, comme elle l’a déjà fait plusieurs fois, une question de frontières tout exprès laissée dans le vague par les traités antérieurs qui la lient vis-à-vis de la Perse, — que fera la Grande-Bretagne et que deviendra sa mission protectrice ? Il est aisé de le deviner en se reportant à l’incident même qui nous a suggéré toutes ces réflexions. Le gouvernement persan, pour conjurer la prise d’Hérat, faisait valoir, on a pu s’en assurer, des motifs assez sérieux. Dost-Mohammed